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apparaître dans son uniforme de représentant du peuple, la mine hautaine et dure sous son chapeau empanaché, sa femme assise à ses côtés avec des airs de souveraine, dans la voiture qui les conduit, il regarde avec complaisance les sans-culottes du cru dételer les chevaux et prendre leur place pour le traîner d’abord à l’Hôtel de Ville où toutes les autorités locales viennent le saluer, et ensuite dans la maison qui lui a été préparée comme résidence, ordinairement une maison de riche, dont on a eu la précaution d’incarcérer à l’avance le propriétaire.

Son premier soin est de se procurer la liste des citoyens emprisonnés et il l’allonge en y ajoutant les noms de tous les habitans qui lui sont signalés comme suspects. A Valognes, où il a longtemps vécu, sa conduite antérieure et les procédés auxquels il a recouru pour satisfaire ses ambitions lui ont créé de nombreuses inimitiés ; il ne manque pas d’en tirer vengeance et d’assouvir ses basses rancunes contre ceux de ses concitoyens qui ont eu le malheur de lui déplaire ; c’est par là surtout qu’il devient promptement odieux. Du reste, dans toutes les villes où l’appelle son mandat, il affecte une brutale insolence et se fait gloire d’être inaccessible à tout sentiment de pitié. Il s’acharne contre les nobles, contre les riches, contre les prêtres, à propos desquels il déclare « qu’il faut les réprimer non comme ministres de tel ou tel culte, mais comme mauvais citoyens. » A l’entendre, « le sacerdotisme est un colosse antique et tenace qu’il faut briser. » « Brisons-le donc ! » s’écrie-t-il. Il ajoute dédaigneusement que « les représentans du peuple n’ont rien à démêler avec les consciences. » Il chasse des hôpitaux militaires et civils les sœurs de charité qui refusent de prêter le serment civique. Sous son impulsion, les prisons se remplissent, les comités de surveillance sont épurés, les visites domiciliaires se multiplient, les tribunaux criminels fonctionnent avec plus d’activité, la guillotine est dressée et les populations sont consternées et terrorisées. Il écrit d’Avranches au Comité de Sûreté générale :

« J’annonce avec plaisir qu’au moyen de purgatifs révolutionnaires qui ont été et seront encore employés ici, l’aristocratie, le fédéralisme et la superstition, en un mot tous les élémens incompatibles avec la République seront replongés dans le néant. » « Les bayonnettes se sont hérissées de toutes parts ; partout un œil menaçant est ouvert ; malheur aux forfaits. »