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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/633

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Il ne faudrait pas croire cependant que cette fermeté stoïque, dont il tirait orgueil, ne se relâchât jamais. Au mois de novembre 1793, il était à Granville quand on apprit qu’une armée vendéenne s’approchait pour s’en emparer. Il mit le plus grand zèle à organiser la défense à laquelle d’ailleurs les habitans se préparaient avec énergie. Mais, s’il faut en croire une tradition locale qui ne fut jamais démentie que dans des documens rédigés par lui-même et après coup, il aurait montré moins de résolution une fois la bataille engagée, et si les Vendéens furent mis en déroute, ç’aurait été non par son fait, mais grâce à la vaillance des défenseurs de la ville et au concours très actif que leur prêtèrent les habitans. D’après les témoignages résumés dans un récit récemment paru[1], c’est à peine si Le Carpentier se serait fait voir aux batteries, timidement, sans panache, ayant enlevé tous les insignes de son autorité, qui auraient pu le faire reconnaître. Les dénonciations dont il fut l’objet après le 9 thermidor, sont unanimes à flétrir sa conduite en cette circonstance et donnent à entendre qu’au moment du danger, il disparut. Il est dit par ailleurs qu’il fut ramené de force à son poste par des jeunes gens qu’avait indignés sa lâcheté.

Quoiqu’il en soit de cet incident, il n’est pas douteux qu’après la victoire, le représentant recouvra toute son arrogance et que le Comité de Sûreté générale, à qui personne n’avait osé le dénoncer, lui continua sa confiance, convaincu que c’était à lui qu’était due la défaite des Vendéens. À ces traits, on peut le juger tel qu’il était et comprendre que les habitans de Saint-Malo aient été terrifiés à la nouvelle de son arrivée.

Comme nous l’avons dit, il fit son entrée dans cette ville le 25 frimaire de l’An II (15 décembre 1793). Il y fut reçu comme un souverain par le personnel révolutionnaire. Le langage qu’il tint, en réponse aux souhaits de bienvenue, qui lui avaient été adressés, ne pouvait qu’augmenter l’effroi qu’inspirait sa réputation. Il ne la justifia que trop. Les représentans, ses collègues, qui l’avaient précédé dans cette ville, avaient institué une commission militaire pour juger les Vendéens pris les armes à la main. Avant que Le Carpentier n’arrivât, cette commission avait condamné à mort et fait exécuter six accusés. Il estima

  1. Le Conventionnel Jean-Baptiste Le Carpentier, par A. de Brachet. Granville, Deschamp, éditeur, 1910.