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était encore à promettre d’apporter à la Commission l’avis du gouvernement, quand le gouvernement aurait un avis !

Cependant, depuis plus de deux ans nous étions entrés en campagne. Outre l’obscur travail de la Commission, des couloirs et des antichambres, nous avions tiré la réforme au grand jour. Forts de cette double conviction qu’une question comme celle-là, qui, touchant au recrutement de la Chambre, touchait à l’existence même de beaucoup de députés, ne serait point résolue au dedans sans une pression énergique du dehors, et que cette question qui, étant avant tout une question de justice, intéresse également tous les partis, devait être résolue par l’accord, par l’action de tous les partis, nous avions entrepris et nous menions à travers le pays tout entier, entre hommes de toutes les opinions politiques, une agitation constamment grandissante. Avant la première réunion, qui eut lieu le 3 mars 1907 à Paris, dans la salle des Sociétés savantes, nous n’étions pas très rassurés : il y avait à craindre et la surprise de l’auditoire à qui allait s’offrir une « troupe » aussi bigarrée, et l’habitude que les orateurs ici rassemblés au service de la même cause avaient priée à la Chambre de ne se rencontrer que pour se combattre. La surprise du public fut visible, mais le succès dépassa nos espérances, et la surprise elle-même, l’inattendu du spectacle, ne fut peut-être pas le moindre élément du succès. Les orateurs les plus justement réputés de l’extrême droite à l’extrême gauche, de M. Denys Cochin à M. Jaurès, et de M. Lasies à M. Willm, ne marchandèrent point leur concours. Nous eûmes peu de radicaux, mais ils étaient de marque : M. Ferdinand Buisson, M. Messimy, qui opposèrent aux objurgations, aux récriminations de leurs amis une fermeté imperturbable, et qui eurent le bon esprit de sourire lorsque d’autres eurent le petit esprit de les accuser de se compromettre avec « la réaction. » Nous tînmes de la sorte ensemble près de quatre-vingts grandes réunions où le plus remarquable fut sans doute que jamais un orateur ne laissa échapper un mot qui pût, à aucun degré, être choquant pour un autre, et que les auditoires, par contre-coup, se mirent immédiatement au ton. M. Denys Cochin fit ainsi, au cœur du Clichy révolutionnaire, et devant une assistance presque exclusivement formée d’ouvriers, profession solennelle de catholique croyant et pratiquant ; et je ne dis point seulement pas une protestation, mais pas un murmure ne