Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/711

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un « enfant de l’amour. » Quel rapport y a-t-il donc entre ce mouvement réflexe et la constitution de la famille à l’ancienne mode ? » L’objection est spécieuse, elle ne me paraît pas très topique, puisque le sentiment familial n’est pas la contradiction du sentiment naturel, mais qu’il en est l’épanouissement, la forme supérieure qui le complète et l’achève.

Une autre objection porte sur le caractère du tribun. Un des hommes de l’esprit le plus pénétrant, le plus souple aussi, le plus mesuré et le plus nuancé, mais à qui les méfaits du régime actuel arrachent quelquefois des paroles violentes, disait devant moi : « Quelle étrange manie a ce Bourget, de donner toujours raison à ses adversaires ! Son tribun, révolutionnaire et franc-maçon, est un homme parfait. Comme si c’était possible ! Nous les connaissons, ces gens-là. Ils sont bien trop bêtes pour cela, et trop méchans… » Les termes sont vifs, mais la remarque subsiste. Il est clair que, pour méconnaître ce que la famille, et surtout la famille française, représente de fort et de délicieux, il faut avoir l’intelligence fermée à certaines vérités, et le cœur à certaines tendresses. Je ne doute pas que ce ne soit aussi l’avis de M. Bourget. Il a idéalisé son tribun. Mais il devait le faire, y étant obligé par les nécessités mêmes de ce genre de théâtre. Qu’il se fût agi en effet d’un vulgaire politicien, la pièce n’avait plus de sens. Il fallait ici un homme assez haut placé dans l’échelle des valeurs morales pour avoir cru sincèrement à un idéal, même faux, et pour être capable de le répudier publiquement, quand il en a reconnu la fausseté et la malfaisance. A défaut d’une « démonstration » que le théâtre ne peut guère prétendre à nous fournir, le Tribun est une « expérience » instituée par un moraliste auteur dramatique. Le sérieux de la pensée n’y a d’égale que la vigueur de la mise en œuvre. La littérature dramatique ainsi comprise remplit tout son objet, qui est de faire réfléchir le spectateur après l’avoir intéressé et de le mener à la pensée par l’émotion.

M. Guitry, chargé de personnifier le tribun, est tout à fait l’homme du rôle. Pour apprécier ce qu’il a été au second acte, il n’y a qu’un mot qui serve : il y a été admirable. Ce que j’ai encore le plus goûté dans son jeu, c’en est la partie muette, la façon dont il sait faire passer sur son visage le reflet de ses émotions successives, et nous rendre sensible tout le travail intérieur. J’ai déjà dit qu’au troisième acte nous ne l’avions plus retrouvé. Artiste très personnel, il voit surtout dans un rôle certains effets à produire. Le reste ne l’intéresse peu. Seulement, il arrive que ce reste ait malgré tout pour la pièce une