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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/723

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regrettait cette réserve ; le sens de son interpellation n’était donc pas douteux et, dès qu’elle a été annoncée, de nouvelles notes de journaux ont assuré que le gouvernement n’avait fait connaître ses intentions à personne : il en était même d’autant plus sûr qu’elles n’étaient pas encore formées. M. Cochin pouvait beaucoup espérer de cette apparence de rétractation. Mais alors est survenu M. Jaurès avec une autre interpellation dont il était non moins facile de prévoir qu’elle se développerait en sens contraire. On savait en effet que M. Jaurès trouvait que le dernier Cabinet avait été très téméraire au Maroc. Il fallait, d’après lui, laisser le Sultan se tirer d’affaire à lui seul, en lui en donnant toutefois les moyens financiers par l’ajournement de nos créances. M. Cochin et M. Jaurès sont aux antipodes l’un de l’autre. Cela a fait réfléchir le gouvernement qui a jugé prudent de donner des demi-satisfactions à tout le monde. Pour satisfaire M. Cochin il a envoyé deux mille hommes dans la Chaouïa, et pour satisfaire M. Jaurès, il a ajourné de quelques années le paiement des intérêts de sa créance, laissant entre les mains du Sultan les sommes nécessaires à la formation et à l’entretien d’un petit corps de troupes de 5 000 hommes. Ces mesures avaient été prises, ou du moins annoncées avant l’interpellation, qui a perdu par là son caractère d’acuité. Le discours de M. Denys Cochin a été très applaudi par la Chambre ; l’orateur a remporté un succès très justifié par l’accent mesuré, persuasif, patriotique de ses paroles. Quant à M. Jaurès, se rappelant qu’il était ministériel, il a été pour M. Cruppi plein de ménagemens auxquels il n’avait pas habitué M. Pichon. M. le ministre des Affaires étrangères n’a pas eu de peine à répondre à ses deux interlocuteurs, et il l’a fait de manière à obtenir l’approbation de la Chambre. Mais le débat, quelque brillant qu’il ait été parfois, surtout pendant le discours de M. Denys Cochin, a tourné autour des questions plutôt qu’il ne les a abordées de face, et il ne les a pas résolues.

Deux de nos officiers ont été tués dans un guet-apens où ils s’étaient laissé imprudemment attirer. M. Cochin a cité un proverbe marocain qui dit que les moutons seuls ne vengent pas leurs morts : il en a conclu que nous devions venger les nôtres sous peine de perdre notre prestige, et tout le monde a été de cet avis. Vengeons donc nos officiers, mais souhaitons qu’à l’avenir, ils ne tombent pas aussi facilement dans les pièges qui leur sont tendus. Ici un tiers intervient : le Sultan nous a demandé de lui laisser le soin de punir les coupables, et nous y avons consenti. Les uns approuvent cette décision, les autres la blâment : nous sommes au nombre des premiers.