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IV

M. Briand se décida sans se décider, comme il se décide. Est-ce qu’on pourrait dire de lui ce qu’on a dit, en Espagne, de Sagasta, qu’il aimait mieux changer d’opinion, en les recevant toutes faites, que de se fatiguer à s’en faire une et à la défendre ? On ne pourrait, dans tous les cas, depuis la formation de son second Cabinet, lui reprocher d’être, ainsi que Canovas le disait de l’autre : « la plus petite quantité possible de président du Conseil des ministres. » Ce Cabinet n’est-il pas composé de telle sorte qu’il y détient à peu près tous les portefeuilles, et qu’il y tient à peu près tous les rôles, outre le sien ? Mais il n’importe, et de jouer tant de rôles à la fois, n’est point pour épouvanter un homme qu’on a, par manière de compliment, appelé « un monstre de souplesse, » un homme qui, s’amusant à se peindre lui-même, s’est qualifié, — et il en était fier, — un homme qui « s’adapte, » un « homme de réalisation. » A la vérité, ce n’est pas chose très difficile de changer d’opinion, quand on n’en a pas d’arrêtée, de s’adapter quand rien ne vous a situé ni fixé nulle part, et de réaliser quand il vous est indifférent de savoir quoi. Or, M. Aristide Briand, avec toutes ses qualités, qui ne sont pas médiocres et dont quelques-unes sont éminentes, est certainement tout l’opposé d’un doctrinaire : on ne le blessera guère en lui refusant ce titre qu’il ne revendique pas, si même il ne le repousserait. Ce n’est pas l’homme d’une idée, — il estime peu ces maniaques, — et ce n’est pas un homme à idées : il n’a que des pensées de tribune. Ce n’est pas l’homme d’un travail assidu, d’un travail « assis, » et ce n’est pas encore de lui qu’on dirait : « Il reste à sa table ; » on ne se souvient pas qu’il ait jamais eu de longs tête-à-tête avec les livres. C’est un péripatéticien, qui s’instruit, assure-t-on, en réfléchissant, et qui réfléchit en déambulant ; sa promenade même a l’allure d’une flânerie, mais il faut croire qu’elle est méditative. Ses biographes officieux (un premier ministre retrouve toujours de vieux camarades) sont dans l’extase, lorsqu’ils songent seulement à la provision de desseins mûrement pesés, de solutions fines et de subtiles combinaisons qu’il est capable de rapporter d’une partie de pêche à la ligne. Cet exercice hygiénique, en effet, caractérise bien sa manière ; et, par exemple, son geste