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MÉRIMÉE.

des fautes de goût. » Ne croyez pas cependant qu’il donne dans le préjugé académique. À Sainte-Colombe, il voit la Vénus accroupie que l’on vient de découvrir en fouillant le sol sur l’emplacement du palais du Miroir. Il sent et décrit la beauté de ce corps à la Rubens : « Le statuaire, dit-il, a fait respirer son marbre ; on sent la peau, et l’on s’étonne quand on touche le marbre qu’il ne cède pas sous les doigts, mollement, trop mollement, comme les muscles de son modèle… » Et il ajoute : « Ce qui nous reste de ce groupe suffit pour intéresser vivement, et pour modifier sensiblement nos idées sur l’art antique. » Les idées de Mérimée sur l’art antique devaient se modifier plus sensiblement encore, après son voyage à Rome et en Grèce… Mais demeurons en France.

L’art roman est encore trop voisin de l’art antique pour ne pas plaire à Mérimée. Il nous paraît maintenant qu’il suffisait d’ouvrir les yeux pour apercevoir cette parenté, et pourtant les antiquaires d’autrefois n’avaient jamais songé à excepter du mépris où ils tenaient les œuvres du moyen âge, les édifices construits et décorés aux xie et xiie siècles. Mérimée saisit du premier coup la beauté classique des chapiteaux romans. À Nevers, on lui montra deux chapiteaux, seuls débris du monastère de Saint-Martin que l’on vient de démolir. « Le travail, dit-il, en est admirable : l’un offre des rinceaux qui se croisent, l’autre un groupe de quatre aigles enlacés par autant de serpens. Si l’on veut oublier pour un instant les scrupules de l’école, on avouera que ce dernier chapiteau peut rivaliser avec tout ce que l’antiquité nous a laissé de plus correct, » Pour lui, l’antiquité demeure donc Je modèle de toute raison et de toute beauté, et, malgré son admiration pour les monumens gothiques, il reprochera aux sculpteurs d’avoir méconnu certaines lois de l’art gréco-romain : « Lorsque au caprice byzantin eut succédé l’imitation étudiée d’objets pris dans le règne végétal, le goût de la variété ne tarda pas à jeter les artistes dans un excès blâmable. Ils voulurent rendre exactement des formes auxquelles la sculpture semble se refuser. De là ces chapiteaux où tant de patience et d’adresse sont inutilement employées. En résultat, qu’a-t-on produit ? On a altéré la forme rationnelle des chapiteaux que les artistes byzantins avaient respectée, et l’on n’a pu parvenir qu’à rappeler de bien loin l’idée de telle ou telle plante. »