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thologiste de la ville me dit qu’il n’existait pas dans le pays d’oiseau de cette espèce.

Enfin, dans la dernière visite que j’ai faite aux arènes, j’ai rencontré mon oiseau toujours attaché à mes pas, au point qu’il est entré avec moi dans un corridor étroit et sombre où lui, oiseau de jour, n’aurait jamais dû se hasarder.

Je me souvins alors que la duchesse de Buckingham avait vu son mari sous la forme d’un oiseau le jour de son assassinat, et l’idée me vint que vous étiez peut-être morte et que vous aviez pris cette forme pour me voir. Malgré moi, cette bêtise me tourmentait, et je vous assure que j’ai été enchanté de voir que votre lettre portait la date du jour où j’ai vu pour la première fois mon oiseau merveilleux. »

S’amusant de ses découvertes, de ses rencontres et de ses rêveries, des jeux de la lumière et de la frimousse des passantes, de ce qu’on lui conte et de ce qu’il devine, Mérimée n’en accomplit pas moins avec une rare conscience le devoir de sa fonction. Nous connaissons son allure de touriste : examinons maintenant ses goûts et ses idées, et rappelons les services qu’il rendit à l’art français.


Il s’intéresse surtout, — du moins dans ses premiers voyages, — aux antiquités gallo-romaines. Il suit en cela son tempérament de classique. L’histoire romaine exerce un grand prestige sur son imagination. Parmi ses ouvrages, ceux auxquels il a peut-être donné le plus de soins sont les beaux récits de la Guerre sociale et de la Conjuration de Catilina ; le style en est d’une vigueur véritablement latine, avec de superbes raccourcis de pensée et de langage. Ce qui l’attire et le retient d’abord, c’est les vestiges de la civilisation antique : les aqueducs, les camps, les voies, les cirques, les mosaïques, les médailles et les sculptures. Ses séjours de prédilection semblent Vienne, Orange, Vayson, Nîmes.

Aujourd’hui nous concevons très bien son admiration pour les magnifiques architectures romaines du Midi de la France. Quant aux sculptures, nous sommes peut-être un peu moins indulgens, et nous restons surpris que, devant les lourds et disgracieux bas-reliefs de l’arc de Carpentras, Mérimée ait encore le courage d’écrire : « Je ne connais pas un seul ouvrage des Romains qui n’ait un caractère de grandeur qui rachète bien