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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/783

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MÉRIMÉE.

goût du confortable, qui fait renoncer aux salles sombres et humides, éclairées par des meurtrières et solidement voûtées. Aux baies étroites succèdent des fenêtres carrées et suffisamment larges ; des planchers remplacent les voûtes. Le maître et ses serviteurs ne doivent déjà plus s’asseoir au même foyer ; aussi les cheminées se multiplient et, par contre, diminuent de grandeur. On commence à ressentir les effets du progrès de la civilisation, et les châteaux perdent un peu de leur caractère militaire, parce qu’un nouveau moyen de destruction, devenu vulgaire, met la force du côté du plus grand nombre. Désormais le chef de vingt coquins bardés de fer, possesseur d’une tour à mâchicoulis, plantée sur un rocher inaccessible, ne sera plus un despote indépendant. L’autorité royale va se fortifiant de toutes les pertes que fait l’aristocratie, et bientôt l’habitation d’un seigneur ne se fera plus reconnaître que par le luxe, la commodité et le bon goût de sa construction. Toutefois, il faudra du temps pour que l’on renonce tout à fait à l’apparence militaire des bâtisses. Les tours et les murailles élevées, si elles ne sont plus un moyen de puissance, en sont encore l’indice et le souvenir. Ce sont comme des espèces d’armoiries intelligibles pour tous, que l’on affiche encore avec plaisir ; et pour les faire disparaître, il faudra qu’un ministre vienne et fasse tomber les têtes de ceux qui voudront rappeler même le souvenir de leur ancienne indépendance. »

Ces citations permettent de voir que le jugement de Mérimée était affranchi du préjugé et du parti pris. Par ses écrits et par ses travaux, ce bon archéologue a largement contribué à remettre en honneur l’art du moyen âge. Mais il n’a pas été le dernier à s’inquiéter des réactions de la mode, de la mode, disait-il, qui n’a pas besoin des convictions de l’étude. Dès 1842, dans un de ses rapports, il exprimait la crainte que l’admiration exclusive des monumens gothiques ne finît par fausser le goût public. « Tels qui admirent aujourd’hui l’art du moyen âge n’ont fait que lui transporter l’engouement irréfléchi qu’ils avaient peu auparavant pour l’art antique… Ils déplorent du même ton la ruine de quelque masure gothique et celle de la plus belle cathédrale. Ce ne sont point les monumens qu’ils aiment, c’est une époque, et tout ce qui n’appartient pas à cette époque, ils voudraient l’anéantir, fanatiques aussi aveugles que les vandales du dernier siècle qu’ils poursuivent