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sans cesse de leurs déclamations. » C’était la raison même, et l’on voyait déjà les effets de ce fanatisme aveugle, car on commençait à dépouiller les vieilles églises de leurs beaux autels du xviie siècle pour y introduire les pitoyables contrefaçons du style gothique.

Et ce n’était point le seul péril de la nouvelle superstition. Les villes et les campagnes de France se remplissaient bientôt de constructions néo-gothiques. Écoutons encore Mérimée. Cette fois, il parle devant la Société des Antiquaires de Normandie (1854) :

« Je sais un fort galant homme, que j’ai converti, du moins il le prétend, à l’architecture du moyen âge, et qui, vivant tout près d’une caserne de gendarmerie, se fait bâtir une maison de campagne avec créneaux, mâchicoulis et tour de guette. Pourtant il sait bien qu’il n’y a plus de routiers en France. Une église du xvie siècle, qui n’a pas de clocher, est menacée, me dit-on, par la piété de ses paroissiens, d’une flèche gothique en ciment romain, et j’ai vu le projet d’une gare de chemin de fer, dont la façade, comme pour avertir les voyageurs de la possibilité d’un déraillement, doit leur présenter les moulages d’un Jugement dernier emprunté à une de nos cathédrales gothiques. Autant l’imitation la plus exacte est recommandable dans la restauration d’un édifice ancien, autant elle est blâmable et ridicule, lorsque, dans un bâtiment moderne, elle ne tient aucun compte ni de sa convenance, ni de sa destination. L’admiration profonde que m’inspire l’architecture du moyen âge me fait regarder son emploi indiscret comme une sorte de profanation coupable »

Je ne me mêlerai pas de discuter la valeur scientifique des observations et des hypothèses de Mérimée : je n’en ai ni la place ni la compétence. Il fut un des premiers qui soumirent les monumens français à une critique sérieuse. Il a ruiné beaucoup de traditions erronées et de légendes absurdes. Il a restitué à l’époque romane un grand nombre d’édifices dont la croyance populaire faisait honneur à Charlemagne ou même aux Romains, comme le prétendu temple de Lanleff dans les Côtes-du-Nord, l’édifice octogone du faubourg de l’Aiguille au Puy, Saint-Quenin de Vayson, le porche de Notre-Dame-des-Doms et bien d’autres… Il paraît qu’il a commis quelques bévues.