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MÉRIMÉE.

ture tirés des édifices démolis. « Combien, s’écriait-il, de bas-reliefs précieux, d’inscriptions importantes, de chapiteaux élégans, n’ont pas été jetés pêle-mêle avec des pierres de démolition ou vendus comme vieux moellons ! Combien de pages intéressantes de notre histoire ont été ainsi déchirées pour jamais ! » Le musée devait donc servir, selon lui, à hospitaliser toutes les victimes du vandalisme. Il ne voyait aucune raison d’y entasser des œuvres modernes, et, quand Requien lui demandait des tableaux pour le musée d’Avignon, il lui faisait cette bonne, cette excellente réponse : « À quoi bon exciter les fils des cordonniers à devenir de mauvais peintres en leur mettant de mauvaises peintures sous les yeux ? Il serait temps de décourager les artistes qui nous empoisonnent de leurs croûtes. »

Les épaves au musée. Mais Mérimée ne tient pas beaucoup à laisser les œuvres d’art en place, à leur place. Lorsqu’il demande qu’une mosaïque romaine soit portée dans un musée, passe encore. Mais il voudrait enlever de l’hôpital de Chalon-sur-Saône des vitraux placés dans une salle où l’on a besoin d’une clarté vive, pour les transférer dans la cathédrale qui n’a que des fenêtres garnies de verres blancs ; ce déplacement n’est pas très heureux. Dans le château de Laval, transformé en prison, il craint que d’élégans ornemens sculptés ne soient pas suffisamment respectés par les détenus, et la seule mesure qu’il propose au ministre est d’employer ces frises à la décoration de quelque monument dont la destination soit plus appropriée à leur caractère ; c’est un bien médiocre expédient. Avec une sagacité qui fait honneur à son goût, il admire en Provence quelques-unes de ces peintures que l’on disait alors tantôt flamandes, tantôt italiennes, et que la critique a depuis restituées à des artistes français, telles que le Buisson ardent de la cathédrale d’Aix, le Couronnement de la Vierge et la Pieta de Villeneuve-lès-Avignon ; il les admire, mais ne cache pas son désir de les voir un jour transporter à Paris. Cette singulière façon de dépouiller la province de ses chefs-d’œuvre est d’ailleurs loin de choquer le plus grand nombre de nos contemporains, puisque la Pieta de Villeneuve a été naguère placée dans une des salles du Louvre ; mais elle a néanmoins je ne sais quoi de barbare, dont il est regrettable que Mérimée n’ait pas été révolté.

Quant aux restaurations, on voudrait aussi que Mérimée eut été plus ferme sur cette grave question. En 1835, on lui com-