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MÉRIMÉE.

érudition, sa merveilleuse divination de l’histoire et des monumens, la lucidité de sa pensée, la vigueur de son style. Par amitié et par estime, il garda le silence. Je ne sache pas qu’il ait laissé échapper une critique, même contre la restauration de Pierrefonds. D’autre part, des archéologues de province se permettaient de blâmer les ouvrages qu’avait approuvés le service des monumens historiques. Caumont ne s’en faisait pas faute. Un fonctionnaire, — Mérimée avait toutes les susceptibilités d’un fonctionnaire, — trouve mauvais que le public se mêle de donner son avis sur les travaux de’l’administration. L’agacement que lui causaient de telles attaques ne lui laissait pas toute son impartialité. Il eût été beau cependant qu’après avoir défendu les vieilles pierres contre les démolisseurs, il recommençât de plaider leur cause contre les architectes restaurateurs. Regrettons qu’il n’ait pas ajouté ce dernier enseignement à l’utile leçon de goût et de bon sens que reçurent de lui ses contemporains. Mais que ce regret ne nous empêche pas d’être juste pour l’ensemble de son œuvre. Dans le naufrage auquel furent exposés, après la Révolution, tous les monumens de la vieille France, Mérimée a été le plus actif, le plus intelligent et le plus dévoué des sauveteurs.

Quand on le voit cheminer ainsi sur toutes les routes de France, en quête de vieilles pierres à mesurer, crayonner et défendre, piocher ici la maçonnerie qui emprisonne la base d’une colonne ancienne, et là gratter les badigeons qui recouvrent de vieilles peintures, morigéner les curés et s’emporter contre la sauvagerie des conseils municipaux, gémir sur les désastres passés et conjurer les désastres futurs, on ne reconnaît guère le Mérimée de la légende, ce personnage sec et dédaigneux que les Goncourt appelaient un « comédien d’insensibilité. » La haine du vandalisme est une passion, et Mérimée haïssait le vandalisme.

Si attentif et si habile qu’il ait été à refouler ses sentimens au plus secret de son âme, on distingue sans peine ceux qui l’animèrent et le soutinrent dans ses longues campagnes contre les démolisseurs. D’abord il aimait la beauté d’un amour profond, délicat et silencieux qui se passait de littérature et d’effusions, mais que trahissait un mot furtif glissé dans une dissertation de pure archéologie. Puis il détestait la sottise, plus