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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/832

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qu’une minorité qui s’est livrée aux excès qu’on reproche à la Restauration. Le peuple est toujours resté plus ou moins austère, enclin aux préoccupations religieuses et morales, parfois grossièrement sensuel, mais peu porté à goûter les plaisirs et les amusemens. Les accusations d’immoralité que portent les historiens contre la Restauration s’adressent à la Cour, aux gens du monde. Le peuple et la bourgeoisie restent graves et sérieux et considèrent avec réprobation la conduite de leurs chefs. Leur auteur préféré est encore Bunyan, qui écrit dans sa prison ; ils goûtent aussi les œuvres de Foxe et de Baxter ; les comédies licencieuses d’un Wycherley et d’un Congreve, les polissonneries d’un Rochester ne sont pas faites pour eux, mais pour le Roi et ses maîtresses, pour la société élégante et corrompue que décrit Hamilton. Or Charles II fut élevé à l’étranger ; lui et ses courtisans tâchent d’imiter la Cour de son cousin de France ; à l’exception de Charles lui-même, homme d’esprit et d’ailleurs à moitié français, ils y réussissent assez mal. Ils n’ont pas cette grâce et cette légèreté, qui plus tard en France, sous la Régence, « en enlevant au vice toute sa grossièreté lui fit perdre, dit Edmond Burke, la moitié de sa laideur. » Au contraire, le libertinage, chez ces hommes d’un naturel grave, devient de la débauche. Ce serait un paradoxe de vouloir à tout prix trouver du puritanisme chez ces roués ; peut-être ne serait-il pourtant pas tout à fait inexact de voir dans l’exagération même de leurs dérèglemens la déviation de l’instinct puritain. S’ils se précipitent ainsi avec frénésie dans le plaisir, c’est qu’au fond, ils en ont un peu peur ; du moment qu’ils se damnent, autant le faire pleinement ; aussi rejettent-ils non seulement les freins religieux et moraux qui modèrent les passions, mais ils se débarrassent de ceux que leur opposent le bon goût et même la décence. Ils n’ont pas ce sentiment de la mesure qui rend l’esprit français si harmonieux. C’est qu’ils ne sont pas artistes, pas plus dans leur vie que dans leur œuvre. On le constate dans leur art, et dans leur littérature. Nul milieu pour eux entre Calvin et Rabelais, et parfois le même homme passe de l’un à l’autre. Aussi quelques-uns de ces voluptueux de la Restauration finissent-ils dans la dévotion, par exemple Rochester, un des pires, ivrogne, débauché, auteur d’ouvrages libertins, qui mourut dévot à trente-trois ans. Je veux bien que la fatigue du débauché y soit pour beaucoup ; mais il y a là un fond de préoccupations