Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/911

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’attache aux ancêtres, et qui est si fort, ne sera pas brisé. Tandis que, dans l’Inde, les déclassés, les parias presque seuls vont au christianisme, en pays annamite les conversions attirent chez nos missionnaires les lettrés et les ignorans, les riches et les pauvres, les coolies et les mandarins. L’antagonisme entre Annamites chrétiens et non-chrétiens est donc exclusivement politique ; il n’a aucun caractère religieux.

Cette distinction est importante. Elle doit nous permettre d’opposer les catholiques annamites aux nationalistes indo-chinois, comme les Anglais dans l’Inde opposent les Musulmans aux Hindous. On méconnaîtrait gravement les premiers élémens du problème de notre avenir colonial en négligeant, sous un vague prétexte de neutralité religieuse, d’utiliser la force de résistance que nous possédons dans les sympathies naturelles des Annamites convertis. Par le souvenir des persécutions passées, la certitude des spoliations et des massacres qui les attendent si le parti de l’indépendance triomphe, ils sont nos partisans intéressés. En célébrant officiellement la supériorité du bouddhisme et de la morale de Confucius sur la morale et les dogmes chrétiens, en dédaignant nos missionnaires et en méprisant leurs efforts, nous ne gagnerons pas le respect et l’affection d’un seul indigène hostile, et nous perdrons la confiance de nos cliens. Dans l’Inde, au contraire, les égards que les Anglais témoignent aux Musulmans, par justice et par intérêt politiques, ne sont pas incompatibles avec une rigoureuse neutralité envers l’hindouisme sur le terrain religieux, ni avec une bienveillance discrète à l’égard des missions chrétiennes de diverses confessions qui peuvent, avec le temps, leur assurer l’appui de 50 millions de parias.

Mais, si nous avons le tort de considérer comme inutile et négligeable la sympathie effective d’un million de catholiques annamites, nous ne l’avons pas remplacée par un groupement puissant d’indigènes intéressés matériellement et moralement à la durée de notre domination. L’optimisme officiel escompte le loyalisme des budgétivores qui se partagent quelques bribes de budgets copieux : les plantons, les secrétaires, les télégraphistes, les employés des chemins de fer et des administrations provinciales, les retraités des services civils et militaires, les instituteurs et les infirmiers. Sans doute, leur nombre est imposant, mais leurs traitemens sont trop modiques pour que la cupidité