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confiance, la crainte ou la prière devant la destinée ? Ici, tout est nouveau, particulier, local, et cependant tout prend un sens, nue valeur générale : c’est la délicieuse élégie ; de la jeunesse éphémère et de la beauté menacée…

« Cette barque, s’écria Lamennais en voyant le tableau, porte la fortune d’un grand peintre ! » On peut parler plus simplement, mais le mot est dit : Hébert avait trouvé sa voie, il avait reconnu son bon génie d’antan. « Ne peindre que la chose ou le fait qui t’aura ému, » voilà ce que lui soufflait la voix du doux démon. Le conseil était bon, le peintre s’y tint, et fit bien. Mais il devenait manifeste que Paris ne lui valait rien. Il s’y mourait d’ennui et de mauvaise peinture. Comme son cousin, l’auteur de la Chartreuse de Parme, il prenait en horreur notre morne existence et nos mœurs en grisaille, il lui fallait son cher soleil, sa lumière divine, le sourire des filles d’Italie.

Il partit : on peut dire que ce fut pour toujours. Dès lors, pendant quinze ans, de Salon en Salon, se succède la série de ses œuvres italiennes, les Cervaroles, les Fienaroles, Zingara ou la Lavandara. Elles sont célèbres. Les estampes de Goupil les ont rendues populaires. Je crains que nous ne soyons devenus moins sensibles à leur charme. On surprendrait beaucoup de monde, si on montrait dans ces peintures les chefs-d’œuvre du « naturalisme. » Et pourtant, je n’invente rien : Hébert est de l’« école de 1850, » de cette génération des Millet, des Courbet, qui marque la chute du romantisme, le retour à la réalité. Je doute même que personne en ait plus sévèrement appliqué le programme. Toutes ses figures sont des portraits et même, selon la stricte observance réaliste, des gens du peuple, des paysans. Hébert, dans ses œuvres d’Italie, est aussi « rustique » que Millet, beaucoup plus que Courbet, lequel le plus souvent n’est que trivial et roturier. Mais ceux-ci sont des philanthropes, des orateurs ou des tribuns. Ils mettent dans leur art une masse d’intentions. Hébert n’y a jamais cherché que la beauté.

Voilà pourquoi il ne pouvait plus se passer de l’Italie. C’est à la Cervara, dans les montagnes de la Sabine, non loin de Subiaco, au cœur de l’antique Ombrie, âpre et rugueuse Auvergne, espèce de massif central italien, — c’est là, en pleine solitude, qu’il prit ses quartiers généraux et coula les années les plus fécondes de sa vie. A deux heures de Rome, ce coin de l’Italie est à peu près sauvage. On y mène une vie que n’a pas avilie le contact du progrès. Vie mâle, noble et rude. On manque de tout. Ce sont encore les mœurs du monde primitif, les habitudes sans âge de l’homme patriarcal. Les figures s’y