Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/952

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où l’on couvre d’or des ébauches, des esquisses, des « notes, » où on livre au public les pensées les plus insignifiantes, ou chacun fait argent des brouillons les plus inchoatifs, il nous a rappelé le mérite de l’exécution. Une œuvre qui n’est pas « faite » peut avoir toutes les qualités : elle n’a qu’un défaut, c’est qu’elle n’existe pas. Hébert a eu l’horreur de l’improvisation, du bégaiement, de l’à-peu-près. Il y a dans son art (comme chez tant de maîtres de la Renaissance, chez un Pollaluolo, chez ce Francia qu’il aimait tant) une part d’orfèvrerie, quelque chose du graveur, en matières précieuses. Voilà ce qui le rendait si cher à l’auteur d’Émaux et Camées, un des rares critiques qui l’aient jamais compris. Comme lui, il savait que toutes sortes de questions, qu’on croit résoudre avec des idées, ne sont en dernière analyse que des questions de style. Le jour où ce peintre de chevalet voulut faire œuvre monumentale, il lit la mosaïque de l’abside du Panthéon, qui semble l’œuvre d’un revenant de Païenne ou de Torcello.

C’était un maître. Il a eu peu d’idées, mais il avait une certitude. Il n’a cru qu’à une chose, mais c’est une de celles qui ennoblissent la vie. Il a été un des derniers croyans de la beauté. Quand on revoit au Luxembourg les Cervaroles ou la Malaria, on n’est pas tenté de sourire. Oui, on a abusé de ces costumes, de ces mouchoirs rouges et de ces tabliers. Mais les voici qui disparaissent. Chaque jour arrache un lambeau des haillons de Graziella. Bientôt vous ne trouverez plus nulle part, à Ischia ni dans les Abruzzes, la sauvage Mignon ni la mystique fille de Jorio. L’Europe se civilise. Un gazomètre souffle le stade des Césars. Alors, on comprend mieux le sens de l’œuvre d’Hébert : de la Malaria à la Rome irritée, il a été le poète d’un idéal qui agonise et d’une beauté qui s’en va.


LOUIS GILLET.