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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/99

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la vérité proclamée par des maîtres d’une autorité bien supérieure à la mienne, Balzac, Le Play et Taine, à savoir que, pour les individus comme pour la société, le christianisme est à l’heure présente la condition unique et nécessaire de santé ou de guérison… La rencontre de ces beaux génies dans une même conclusion a ceci de bien remarquable qu’ils y sont arrivés tous les trois par l’observation, à travers des milieux et avec des facultés de l’ordre le plus-différent. En adhérant à la conclusion si nettement exposée par ces maîtres, je ne fais, moi non plus, que résumer ma propre observation de la vie individuelle et sociale. Je crois donc dégager mieux le sens de ces Essais et des ouvrages qui les ont suivis, en demandant qu’on veuille bien les considérer comme une modeste contribution à cette espèce d’apologétique expérimentale, inaugurée par les trois analystes que je viens de citer, — apologétique dont relèvent tôt ou tard, d’ailleurs, qu’ils le veuillent ou non, tous ceux qui, étudiant la vie humaine, sincèrement et hardiment, dans ses réalités profondes, y retrouvent une démonstration constante de ce que cet admirable Le Play appelait encore : « Le Décalogue éternel. »


Qui parle ainsi ? c’est M. Paul Bourget lui-même, dans une Préface, datée de septembre 1899, et qui ouvre l’édition définitive de ses Œuvres complètes. Et l’année suivante, dans une seconde Préface, il reprenait sous une autre forme, plus précise et plus ferme encore, la même pensée. Rattachant à Taine la méthode et la doctrine de son œuvre romanesque, et revendiquant sa part de collaboration à cette « grande enquête sur l’homme » que Taine avait assignée comme objet à l’art littéraire moderne, il déclarait n’avoir composé, à la manière scientifique, « qu’une suite de monographies, des notes plus ou moins bien liées sur quelques états de l’âme contemporaine. » Et après avoir étudié et analysé un certain nombre de cas, il revendiquait le droit de généraliser, de proposer et d’affirmer, sinon des lois, tout au moins des hypothèses, et, après avoir fait œuvre de psychologue, de faire œuvre de moraliste.


J’ai vu, disait-il, des appréciateurs, ceux-ci bienveillans, ceux-là malveillans, opposer Cruelle Énigme à Cosmopolis, Un Crime d’amour à Terre promise, les Essais de psychologie à Outre-Mer, et prononcer à mon sujet le grand mot de conversion. Ce mot ne me ferait pas peur, car j’estime que la volte-face d’un esprit qui, sous la leçon de la vie, reconnaît son erreur première, est un des plus beaux spectacles qui soient. Mais tel n’est pas mon cas particulier. On se convertit d’une négation, on ne se convertit pas d’une attitude purement expectative… Il me serait aisé de montrer que s’il y a eu développement dans ma pensée, il n’y a pas eu contradiction, et que l’avant-dernier chapitre d’Un Crime d’amour, l’épilogue de Mensonges, vingt passages de la Physiologie, les dernières pages du Disciple, celles sur la confession et le péché dans Cruelle Énigme, se raccordaient déjà entièrement à