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marqué rudement dès l’enfance en détruisant l’un de ses yeux. Vers l’adolescence, un nouvel accident répara jusqu’à un certain point le premier parce qu’il permit au jeune homme d’insérer un œil de cristal entre ses paupières jusque-là fermées. « Je n’étais donc plus défiguré, » s’écrie triomphalement dans son récit le pauvre mutilé qui dut en effet à cette circonstance de pouvoir obéir à sa vocation sacerdotale ! Il l’était un peu moins à la vérité, mais comment concevoir pourtant que Frédérique ait pu jeter si avidement son dévolu sur ce garçon aussi dépourvu d’attraits que de ressources, sans grande valeur intellectuelle d’ailleurs, mais doué seulement d’un honnête caractère et d’une réelle énergie morale comme le démontra la suite de sa carrière. Une telle perspective matrimoniale n’avait rien de fort séduisant, il faut en convenir, et l’apparition de ce théologien, borgne et râpé, au presbytère de Sesenheim nous rappelle invinciblement celle que Goethe y prétend avoir faite huit années plus tôt, dans ses Mémoires : avec cette différence toutefois que le déguisement grotesque bientôt abandonné par le premier visiteur était l’apparence réelle et authentique du second ! Au surplus, il suffit de parcourir les souvenirs de Gambs pour reconnaître en lui un parfait naïf, tandis que Frédérique était une fille déjà formée par la vie et habituée dès longtemps aux libres allures. Le nouveau venu prit sans doute pour des avances ou même pour des imprudences ce qui fut simple laisser aller de bonne grâce chez une hôtesse avenante dont le naturel et l’abandon gracieux avaient été de tout temps les qualités distinctives.

Non, le témoignage de Gambs ne nous paraît pas moins contestable que ceux dont nous avons parlé jusqu’ici. Et pourtant, l’opiniâtreté de l’accusation a fini par entamer le sang-froid de la défense dans l’affaire de Sesenheim. Hier, une revue critique fort estimée en Allemagne, le Literarisches Centralblatt, écrivait, à propos de l’autobiographie de Gambs, que les vraisemblances accumulées par l’auteur de cette publication pourraient bien avoir rendu finalement impossible l’entière justification de Frédérique !

Eh bien ! nous refuserons malgré tout notre adhésion à ses détracteurs, d’autant plus que l’opinion française nous paraît avoir désormais des motifs sérieux pour défendre la réputation de la pauvre fille. Accusé par les patriotes d’outre-Rhin d’avoir méchamment dénigré dans sa personne la vertu et la fidélité