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un sociétaire ou par un des gentilshommes de la Chambre du Roi. Les artistes, soit qu’ils jouassent dans la soirée, soit qu’ils vinssent simplement passer un instant dans le foyer, soit qu’ils fussent en costume ou en habit de ville, étaient chez eux, et se saluaient avec une politesse et des formes dont l’élégance ne se démentait jamais… Ma grande préoccupation, durant ces soirées mémorables pour moi, était de parvenir, par toutes sortes de ruses, de marches et de contremarches, à jeter un coup d’œil furtif dans ce vaste salon qui représentait, à mes yeux, tout ce que l’esprit peut rêver de magnificence : les personnages assis là-dedans, les uns causant, les autres jouant aux cartes, quelques femmes même brodant, me donnaient comme une vague idée de l’assemblée des dieux ; les costumes ajoutaient au prestige… »

Puis, le débutant s’extasie dans la contemplation des actrices « toutes baignées de parfums exquis, dont le sourire éclairait des visages maquillés et mouchetés avec un art qui eût désespéré Vanloo lui-même… Et puis, il y avait autour d’elles MM. les gentilshommes du Roi, en gilet blanc, avec des jabots de malines rousses, que fermaient des solitaires du plus grand prix ; il y avait tout l’esprit de Paris, représenté par l’aristocratie de la fortune, du nom ou des lettres : le duc de Duras, Briffaut, Andrieux, Bouilly, Delrieu, Viennet, Alfred de Vigny, Alexandre Duval, Pigault-Lebrun, Etienne, Jouy, Coupigny… Et puis, quoi ?… Il y avait aussi ma jeunesse… »

Qu’aurait-il dit, le néophyte, s’il avait alors assisté à quelque tournoi entre ces personnages célèbres alors, aujourd’hui presque inconnus, sauf Alfred de Vigny ? Quelle joie aussi d’entendre le duc de Duras évoquer ses prédécesseurs d’avant 1789, avec des historiettes comme celle-ci ! Les premiers gentilshommes de la Chambre gouvernaient le tripot comique, de même que les ministres le gouvernent aujourd’hui ; leur autocratie s’exerçait parfois d’une manière assez plaisante dans la forme, ainsi que l’atteste ce trait de Richelieu, reproduit plus tard par Mme de Bawr : « Le maréchal de Richelieu était devenu un peu sourd dans sa vieillesse, mais il exagérait cette infirmité bien au-delà de ce qu’elle était chez lui, quand il lui plaisait de ne pas entendre. En sa qualité de premier gentilhomme de la Chambre, il avait sous sa dépendance les trois grands théâtres de Paris. Toutefois, comme il n’aimait pas qu’on pût dire qu’il