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exerçait un despotisme nuisible aux intérêts des acteurs sociétaires, il prenait soin d’obtenir l’agrément des comédiens à ses volontés. Sachant que l’Opéra-Comique allait renvoyer une débutante qui n’annonçait aucun talent, mais à laquelle il s’intéressait, il manda les deux semainiers et fit prier Grétry de venir chez lui à la même heure. Tout le monde réuni, le maréchal prit la parole : « Je vous ai prié de venir, mon cher Grétry, dit-il, afin que vous énonciez à ces messieurs votre opinion sur la jeune débutante. — Je pense, monsieur le maréchal, qu’elle ne donne aucune espérance pour l’avenir, répondit Grétry. — Vous l’entendez, messieurs, elle donne des espérances pour l’avenir. — Ensuite, reprit plus haut Grétry, elle n’a pas la voix juste. — Vous voyez que M. Grétry lui trouve la voix juste. Ainsi, messieurs, vous la recevrez. »

Ces habitués du foyer avaient beaucoup d’esprit, plus d’un allait jusqu’au talent, et donnait libre carrière à ses goûts d’opposition, toutefois en les tempérant de courtoisie. L’un d’eux raconte la réponse d’un député de la majorité à un libéral qui veut l’empêcher de monter à la tribune pour soutenir le projet du ministère. « A quoi bon ? Vous avez une superbe sinécure, vos enfans, vos proches sont bien placés ! — Oui, mais ma femme est grosse. » Le trait n’a pas vieilli. Et j’imagine que les ministériels ne restaient nullement à court de malices sur l’opposition. Quant aux actrices, alors comme auparavant et comme plus tard, leur politique, c’est l’homme qui leur plaît, ou l’homme qui leur déplaît.

Quinze ou seize ans après, les gentilshommes de la Chambre ont été balayés par la Révolution de 1830, la mort a resserré les rangs, le talent a comblé les vides, les acteurs maîtres du foyer sont Mars, Firmin, Joanny. Geoffroy ; Samson, Bocage marchent sur leurs traces, Rachel pointe. Parmi les auteurs dramatiques, Victor Hugo ne va guère au foyer, Vigny n’y va plus, Scribe, qui bat son plein, y retrouve de vieux confrères, Bayard, Viennet, Ancelot (ces deux derniers se disputent toujours la palme de la vanité) ; et puis les jeunes, les nouveaux qui montent à l’assaut du succès, Ernest Legouvé, Mazères, bientôt Ponsard, Mallefille, Léon Laya. E. Scribe, naturellement, était le roi du foyer quand il daignait s’y montrer, et ceux qui, tout bas, critiquaient son mauvais style, l’absence de types, de caractères fortement dessinés dans son théâtre, admiraient comme il convient son