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elle fut, un quart de siècle durant, la reine du foyer : Judith, Allan, Fix, pâlissaient devant elle ; Plessy elle-même était désarçonnée. Quand elle épousa Mario Uchard, une bonne camarade lui dit d’un air entendu. « Ton futur mari, je le connais ! c’est mon futur passé. — Oh ! riposta Madeleine, je n’espérais point trouver un homme qui ne vous connût pas. »

« Une actrice disait au foyer : « Je n’aime pas les hommes qui sont trop maîtres d’eux-mêmes. » Son amant lui répondit : « Et moi je n’aime pas les femmes qui sont trop maîtresses des autres. » « Une de nos jeunes comédiennes, qui ne quitte jamais Paris, est surnommée au foyer la Comédienne inamovible. On n’en dit pas autant de son cœur, qui a beaucoup voyagé : c’est la femme la plus spirituelle, non pas du monde, mais du demi-monde. On disait hier devant elle que M. X… était, comme l’enfer, tout pavé de bonnes intentions. « ne me parlez pas des hommes à bonnes intentions ! s’écria-t-elle ; je les ai toujours vus si maladroits et si malheureux, que je me suis depuis longtemps entourée d’hommes à mauvaises intentions. »

« En ce temps-là, un fils de ministre, cousin sans doute de celui qui s’étonnait qu’on jouât au Théâtre-Français de mauvaises pièces comme le Médecin malgré lui, entra comme une bourrasque dans mon cabinet : « Monsieur Arsène Houssaye, il me semble qu’on se croise les bras au Théâtre-Français. » Jamais Napoléon n’avait parlé avec un si grand air à un officier battu. « Vous vous trompez, répondis-je, on répète La critique de l’École des Femmes. — La critique de l’Ecole des Femmes, qu’est-ce que cela ? On n’a pas encore, que je sache, envoyé le manuscrit à la Censure ! »

Il y eut alors un troisième foyer, en quelque sorte un troisième salon de la Comédie. Arsène Houssaye pria Faustin Besson de peindre un cénacle des poètes et des artistes dans l’entrée de la loge directoriale (avant-scène de droite au rez-de-chaussée). « Je ne sais trop ce que j’y ai peint, écrit Besson, tout cela doit avoir disparu (non, cela n’a pas encore disparu) ; mais ce que je sais bien, c’est que, pendant ces six mois, tout le Paris de l’aristocratie littéraire, artistique et mondaine, s’est disputé une place dans ce petit coin. J’avais la clef qui donnait sur la scène, et, sitôt libres pour un instant, ces dames et ces messieurs, en grand costume, descendaient près de nous. Rachel,