Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Maurice Donnay vient, à son tour, d’occuper cette chaire de la Société des Conférences que naguère inaugura Ferdinand Brunetière dans des conditions inoubliables, et que M. Jules Lemaître a faite sienne par la plus brillante série de succès. Les dix conférences qu’il a consacrées à Molière ont été très bien accueillies d’un public de connaisseurs. On en a goûté la simplicité ingénieuse, le naturel plein de bonne grâce, le tour aisé, le ton qui était celui d’une causerie spirituelle semée de remarques malicieuses, de boutades joliment fantaisistes et gaies.

On a beaucoup écrit sur Molière ; M. Maurice Donnay s’est excusé de n’avoir pas tout lu et d’ailleurs de n’apporter aucun document inédit. Mais on ne lui en demandait pas. Il avait mieux à faire : c’était de se placer à un point de vue nouveau, ou du moins trop négligé ; et il n’y a pas manqué. Puisqu’il est auteur dramatique, on attendait de lui qu’il parlât non pas en professeur, ni en philologue, ni en philosophe, mais en auteur dramatique. Il l’a parfaitement compris. Il a envisagé les pièces de Molière non pas comme des romans, des mémoires, des traités, des discours, des manifestes, mais comme des pièces de théâtre. Il s’est demandé comment elles ont été écrites, plutôt que pourquoi. Il s’est proposé de nous montrer le mécanisme de leur production, en homme qui est de la partie. De là, et nécessairement, beaucoup d’analyses, qui sont des modèles d’analyses, démontant le chef-d’œuvre pour le recomposer sous nos yeux, ou plutôt encore nous installant à l’intérieur pour nous expliquer, vaille que vaille, « comment c’est fait. » Donc, les notes de tous les commentateurs résolument jetées par-dessus bord ; un essai, presque toujours heureux, pour restituer l’œuvre dans sa fraîcheur, dans sa simplicité, et, comme on eût dit au XVIIe siècle, dans sa naïveté.

Le premier avantage de cette méthode est de désencombrer l’étude de ce théâtre et d’en expulser radicalement un certain nombre d’inventions saugrenues, dont, malgré nous, le souvenir nous hante, et qui faussent sujet, épisodes, caractères. Quelles intentions n’a-t-on pas prêtées à Molière, qu’il n’a jamais eues et qu’il eût été bien empêché d’avoir ? Quelles métamorphoses n’a-t-on pas fait subir à ceux de ses personnages dont le dessin est pourtant le plus franc et le plus net ? Alceste est devenu un Hamlet, et, qui pis est, un Hamlet romantique. Don Juan est devenu le poète assoiffé d’infini, le passionné chercheur d’idéal. M. Donnay a fait justice de ce travestissement lyrique. D. a dépouillé de son prestige l’immortel séducteur ; il lui a contesté, — lui, l’auteur d’Amans ! — jusqu’au titre d’amant.