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On ne connaît même pas de diplômes de Rollon ni de son fils Guillaume Longue-Épée.

Malgré le désir et les encouragemens des premiers ducs, il faut attendre un siècle avant qu’un historien tente de retracer les débuts de la domination normande. Encore, cet historien tardif, la Normandie dut-elle l’emprunter au dehors. Dudon, né à Saint-Quentin ou aux environs, avait été envoyé vers 987 auprès de Richard Ier, petit-fils de Rollon, pour solliciter sa médiation entre le comte de Vermandois et le nouveau roi de France Hugues Capet. Accueilli avec honneur à la cour de Rouen où l’on attirait les savans, il s’y trouvait encore d’une manière habituelle vers 995, deux ans avant la mort de son bienfaiteur, qui l’avait gratifié de deux bénéfices ecclésiastiques dans le pays de Caux, et auquel il avait promis d’écrire une histoire des Normands. Il revint pourtant dans sa ville natale, car, en tête de son ouvrage, il prend le titre de doyen du chapitre de Saint-Quentin, dignité qui exigeait la résidence. Il se dit alors âgé de dix lustres : si on lui suppose de vingt à vingt-cinq ans au moment de sa mission de 987, on arrive à placer la publication de son livre entre 1015 et 1020, soit un grand siècle après l’établissement des Normands dans le pays auquel ils ont donné leur nom.

Le point important c’est de savoir quel crédit il convient de lui accorder. La critique contemporaine est généralement sévère pour Dudon : c’est ce qui explique qu’elle ait appauvri plutôt qu’enrichi le champ de nos connaissances sur cette période. Nous savons par Dudon lui-même qu’il a composé son histoire à peu près uniquement d’après les renseignemens que lui a donnés le comte Raoul d’Ivry, frère de Richard Ier, très curieux des antiquités de sa famille et de sa race. A première vue, c’est une source qui pourrait inspirer confiance ; mais, au bout d’un siècle, une tradition orale est sujette à bien des déformations. Qu’on se figure ce que pourrait être une histoire des campagnes de Napoléon écrite aujourd’hui d’après les souvenirs recueillis par le petit-fils d’un maréchal du premier Empire qui n’aurait pas laissé de papiers ! La géographie et la chronologie sont plus qu’incertaines : il y a quatre dates en tout dans Dudon. En outre, il s’agit d’une histoire officieuse, entreprise pour la plus grande gloire de la maison régnante, présentant les événemens comme cette maison régnante désirait qu’ils fussent présentés. Il y a