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infinité de petits royaumes : la Norvège à elle seule en compta jusqu’à seize. Entre ces petits Etats, jaloux et à l’étroit, la guerre était endémique. Les vaincus, les fugitifs, les bannis étaient voués à la piraterie. Il s’y ajoutait tous ceux qui n’avaient ni biens, ni héritage à espérer. La culture du sol, d’ailleurs ingrate, était considérée comme une déchéance. « Il semblait indigne d’un homme libre, dit un historien Scandinave, de se procurer par la sueur ce qu’il pouvait acquérir par le sang. »

Toutefois, l’émigration reste encore exceptionnelle et temporaire jusqu’au moment où les trois royaumes arrivent à se constituer, vers l’an 800. Les hommes du Nord se pillent et se battent surtout entre eux. Mais quand l’œuvre d’unification est à peu près achevée, les chefs puissans qui sont à la tête des trois royaumes font la chasse aux pillards. Ils n’admettent plus que les « rois de la mer » débarquent où bon leur semble et réquisitionnent ce dont ils ont besoin, selon l’usage immémorial. D’autre part, la population s’accroît par le fait même que les guerres intestines ont pris fin. Tous ceux qui ne peuvent ou ne veulent ni travailler en paix, ni renoncer à la vie d’aventures, sont forcés de chercher fortune au loin. Ils s’expatrient, tendent la voile au vent. Ils parlent maintenant sans esprit de retour, car ils savent que, s’ils reviennent, ils ne seront pas accueillis à bras ouverts. Nous voyons un roi de Danemark faire décapiter les compagnons de Hagnar Lodbrog qui étaient revenus au pays natal après avoir pillé Paris (845).

Les Suédois se tournent vers la Russie. Ce sont les Danois et les Norvégiens qui s’abattent sur les côtes de l’empire de Charlemagne. On les confond volontiers, d’autant plus que la plupart des Norvégiens qui apparaissent dans nos parages sont originaires de la région voisine du fiord de Christiania, laquelle appartint longtemps aux Danois. Les Norvégiens du littoral océanique se portent plutôt vers le large, vers l’Islande et l’Amérique. Malheureusement pour la future Normandie, elle était au premier plan pour recevoir la visite des pirates normands. La configuration de son littoral, avec la presqu’île du Cotentin qui barre la moitié de la Manche, invite à débarquer les navigateurs qui débouchent, par le Pas de Calais. Ils tombent, à moins de le faire exprès, dans le vaste demi-cercle qui va de l’estuaire de la Somme à la pointe de la Hague. Ils sont happés au passage. ’Certes les Normands pousseront plus loin leurs courses