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dant contre une bande de Troyens le corps de Patrocle. Tous les peuples de la Grèce puisaient à l’épopée d’Homère le sujet de leurs images préférées, et ils mettaient au premier plan les héros dont ils s’enorgueillissaient. La postérité du vieil Æaque était la gloire des Éginètes. L’impartial Homère suffisait aux prédilections universelles. Armée en guerrière et vêtue de sa longue robe plissée, Athèna présidait à ces combats où Télamon, Teucer et Ajax marquaient leur suprématie. Les guerriers, porteurs de lances, de casques et de boucliers, sont nus. Larges d’épaules, minces de ceinture, vigoureux, musclés, ils font des gestes élégans. Ils n’ont pas l’air d’être à la bataille, mais plutôt à un exercice où le plus beau aura le prix. Le plus beau, et le plus joli même. Du reste, il n’y a point de mêlée, ni de fureur, en ces rencontres de héros accomplis ; l’on n’y remarque pas la rude confusion qui, sur l’un des frontons d’Olympie, figure la querelle des Lapithes et des Centaures. Chacun des combattans est à peu près seul, en son attitude, et travaille pour soi : il travaille à être charmant ; et, qu’il darde la lance, ou bande l’arc, ou meure, il veille à se bien présenter. L’anatomie est savante, fine, complète. Le geste aussi est naturel.

Car il ne faudrait pas qu’on se méprît sur le caractère de l’élégance que je signalais. Ce n’est pas celle qu’ont recherchée et que prisent encore les peintres et les sculpteurs de la décadence, si emphatique et sottement soumise aux règles d’une rhétorique forcenée. Les sculpteurs d’Égine ont une autre affectation : l’extrême simplicité ; ils se distinguent de nos artistes redondans, un peu comme l’éloquence attique, nerveuse et sèche, de la grasse éloquence asiatique.

Le résultat, pour les frontons d’Égine, le voici. Ces combats que la présence d’Athèna, d’Héraklès et le cadavre de Patrocle rendraient augustes ont l’air d’un jeu, réglé à merveille et dont les amateurs s’amusent avec grâce.

On a bien davantage encore cette impression, si l’on regarde les visages. Tous, ceux même des blessés, sourient. Ce ne sont pas leurs lèvres seulement dont les commissures se relèvent ; mais les yeux, un peu bridés, tirés vers les tempes, marquent une étrange gaieté, moqueuse, plaisante.

Ce sourire est fameux, dans l’histoire de l’art. On l’appelait jadis, à tout hasard, éginétique. On l’appelle archaïque, maintenant, et on le considère comme l’un des signes les plus évidens