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d'une maladresse naïve et qu'excuse, d'ailleurs, assez l'époque, si jeune et primitive. Car nos esthéticiens ont, une bonne fois, accordé leur créance à l'idée du progrès.

La maladresse des sculpteurs éginètes ?… Mais, en vérité, quand l'adresse aura fait quelques progrès encore, la décadence sera commencée. L'habileté des sculpteurs éginètes, tout la révèle : l'ensemble et le détail. Ils ont étudié avec délicatesse la structure des corps, leur équilibre, l'activité des muscles et leurs effets réciproques. La variété des poses témoigne d'une invention subtile et ingénieuse. Ils travaillent très bien la pierre ; ils lui donnent de la souplesse et de la force ; ils sont les maîtres de leur matière et de leur instrument. Et l'on voudrait que le sourire des figures attestât, tout bonnement, la gaucherie de l'artiste ? Bref, l'artiste n'aurait su faire un visage que souriant ?… Quelle drôle d'idée et qu'on n'a guère envie de mener à l'absurde : elle y est !…

Ou bien, pour se débarrasser de l'énigme que pose un tel sourire, on dit : — C'était, que voulez-vous ? la mode, en ce temps-là ; il fallait que sourît le visage des statues.

Somme toute, on n'y peut rien !… Et l'on cite, comme un autre exemple de ces modes qui signalent certaines époques de l'art, les tailles singulièrement contournées, un peu déhanchées, des vierges que le xive siècle sculpta.

Encore faut-il qu'on rende compte de ces modes ; il ne suffit pas de les présenter comme des toquades. Au xive siècle, les femmes eurent le goût de robes très longues et lourdes et qu'elles devaient relever avec un peu d'effort ; elles appuyaient à la hanche leur main chargée d'étoffe. Quelques-unes le firent si joliment qu'un nouvel aspect de la grâce féminine fut inventé, plut, séduisit les imaginations. Et comment ne pas décerner à la Vierge, belle entre les femmes comme un lys entre des ronces, un attrait que les yeux d'alors subissaient avec délice ?...

Pareillement, le sourire éginétique a, sans nul doute, une signification; et l'on n'a rien dit, quand on a constaté qu'il était à la mode pendant le vie siècle de la Grèce et le commencement du ve, si l'on n'a aucune raison de considérer comme des insensés les artistes qui, au fronton du temple, faisaient sourire les blessés et les mourans.

Ce caractère est, notons-le, d'une autre qualité que la torsion bizarre des vierges trecentistes. Il ne modifie pas l'attitude