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des personnages, mais leur physionomie, qui est le miroir de leur âme. Et si l’on prétend que les sculpteurs d’Égine n’allaient pas chercher si loin, songeaient à l’agrément décoratif de leurs frontons et ne souhaitaient pas de rendre jusqu’à des nuances de sentiment, l’on élude avec gaillardise la difficulté ; l’on affirme avec désinvolture le contraire de la vérité.

Qu’on examine un peu l’admirable et charmant Héraklès, si bien casqué d’une tête de lion et qui, agenouillé, vient de lancer une flèche de son arc. Oui, la flèche vient de partir ; et l’archer garde encore la pose qu’il avait prise pour viser : mais il va se dresser. Le corps se rejette en arrière ; le genou droit se soulève de terre ; la jambe gauche n’appuie déjà que du talon ; le mouvement du corps continue l’effort qui servit à bander l’arc et il va mettre l’archer debout. Or, le geste n’est pas seulement celui d’un bon archer ; mais il indique la joie, le défi, l’orgueil, la curiosité de voir, là-bas, choir l’ennemi que la flèche n’a point manqué. Le visage sourit. L’archer divin s’amuse. Son visage s’amuse, et tout son corps.

Ce sourire, qui nous étonne et dont la spiritualité rayonne sur toute la composition des frontons éginèles, nous ravit. Et, même si, dès le prime abord, il ne livre pas son secret, il nous captive, peut-être à cause de son mystère, mais aussi pour son aimable beauté. Il nous fait penser à l’un des plus anciens sourires de la terre, au sourire mêlé de larmes que l’inventeur universel, Homère, attribue à la pathétique Andromaque, au sixième chant de l’Iliade, quand le petit Astyanax a peur de la queue de cheval qui orne le casque d’Hector. Andromaque aux bras blancs sourit ; et Hector va combattre, il va mourir. Ainsi sourient les combattans d’Égine, les uns dans l’allégresse de la victoire et les autres dans la douleur de la blessure ou de l’agonie, chacun d’eux d’une façon : toutes les sortes de sourire ont fleuri sur tous ces visages.

Plus on les regarde et plus on en subit la séduction merveilleuse. On les épie, on les interroge.

Or, le temple d’Égine était premièrement dédié à une déesse Aphaïa qui demeure assez mystérieuse, elle aussi. Elle semble avoir une lointaine origine crétoise ou bien être la sœur de la Britomartis des Crétois ; et on la rattache encore à la fille de Zeus, Artémis. Quant à son nom, je crois qu’il nous reporte à une racine qu’on retrouve dans le nom d’une rade, les