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qui lui sont remontés au cœur ; ce sont les impressions ineffaçables d’une enfance peu ensoleillée, et dont les premières joies ont été la contemplation des « beautés poétiques et morales de la religion chrétienne[1]. »

Ces premières émotions religieuses rencontraient un écho au foyer paternel. Chrétien suffisant plutôt que pieux, à ce qu’il semble, peut-être même un peu entamé par l’esprit du siècle[2], le père n’eut pas sans doute, à cet égard, grande action sur son fils. Mais la mère était fort pieuse, et elle paraît avoir veillé d’assez près à l’éducation religieuse de ses enfans : au fond, elle eût désiré que le « chevalier » se fît prêtre. « Voué à la Sainte-Vierge, nous dit celui-ci, on avait eu soin de me faire connaître et aimer ma protectrice… La première chose que j’aie sue par cœur, c’est un cantique de matelots. » A sept ans, on le conduit à Plancoët pour être relevé du vœu de sa nourrice ; et l’imposante, la touchante cérémonie, le sermon du prieur qui, en lui rappelant l’exemple d’un de ses ancêtres, lui dit que lui aussi visiterait peut-être la Terre-Sainte, tout cela fit sur lui une impression profonde. « Combien il est essentiel, écrivait-il longtemps après, de frapper l’imagination des enfans par des actes de religion ! Jamais dans le cours de ma vie je n’ai oublié le relèvement de mon vœu. Il s’est présenté à ma mémoire au milieu des pires égaremens de ma jeunesse. Je m’y sentais comme attaché à un point fixe autour duquel je tournais sans pouvoir me déprendre. Depuis l’exhortation du bénédictin, j’ai toujours rêvé le pèlerinage de Jérusalem, et j’ai fini par l’accomplir[3]… »

On fut de retour à Saint-Malo en octobre 1775, et les polissonneries sur la grève reprirent de plus belle. Cette éducation

  1. Titre primitif du Génie, comme l’on sait.
  2. « Mon père, nous dit Chateaubriand, ne descendait qu’une fois l’an à la paroisse pour faire ses Pâques ; le reste de l’année, il entendait la messe à la chapelle du château. » (Mémoires, éd. Biré, t. I, p. 131.) On ne le voit point paraître à la cérémonie du relèvement du vœu, ni, chose plus significative à celle de la première communion. Enfin, nous savons que « les déclamations de l’Histoire philosophique des Deux Indes le charmaient, » et qu’ « il appelait l’abbé Raynal un maître homme (p. 192). »
  3. La version, probablement primitive, de ce récit a été publiée, d’après un fragment autographe, par M. Marcel Duchemin qui, dans la Revue d’histoire littéraire de la France (janvier 1901), en a excellemment établi le texte critique. J’y note encore la curieuse réflexion que voici : « C’était la première fois de ma vie que j’étais décemment habillé ; je devais tout devoir à la religion, même la propreté, que saint Augustin appelle une demi-vertu. »