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ces noms, on ne voit pas se dessiner déjà et se lever en quelque sorte sous nos yeux l’idéal poétique qui flotte dans sa jeune imagination ? Quelque chose de tendre et de passionné, de douloureux et de voluptueux tout ensemble, et « je ne sais quelle longueur de grâces, » voilà ce qu’il aime à trouver dans les anciens et chez les modernes qui ont réussi à franchir les portes des collèges ou du vieux château de Combourg et sont venus solliciter sa curiosité rêveuse. L’Élégiaque, comme l’appelait l’abbé Égault, est admirablement préparé à goûter cette « sensibilité » qui, depuis plus d’un demi-siècle, a envahi ta littérature française.

De toutes ces lectures, quelques-unes n’ont-elles pas déjà entamé le fond de croyances religieuses que lui a transmis sa famille ? Peut-être ; mais j’inclinerais à croire que l’éveil des premières passions y a contribué davantage. Si d’ailleurs sa ferveur a faibli, il ne semble pas que la foi proprement dite se soit éteinte dans son cœur. Il lui a dû ses premières jouissances ; ses premiers rêves d’art, ses premières chimères amoureuses ont été étroitement associés et mêlés à des pensées chrétiennes. Il a pris l’habitude d’unir et de fondre ensemble ces trois inspirations si diverses. Et s’il est vrai que nos impressions d’enfance laissent en nous une trace indélébile, le chevalier de Chateaubriand aura beau se costumer en philosophe : il n’oubliera jamais entièrement que c’est le christianisme qui, tout d’abord, a rempli le vide de son âme ardente, et qui lui a révélé la poésie.


VII

« Né sauvage » et déjà « regrettant ses bruyères, » durant les trois jours qu’il y passa pour se rendre à Cambrai, entre son frère aîné, sa sœur Julie, la brillante Mme de Farcy, et l’importun cousin Moreau, le jeune chevalier ne fit tout d’abord qu’entrevoir le Paris mondain, dissipé, frivole, dont on lui