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et Ary Scheffer la Tentation sur la montagne. Et pourtant, les sujets religieux étaient traités alors par presque tous les maîtres de la peinture : ils ne le sont plus par personne. C’est qu’ils sont maintenant infiniment plus difficiles à traiter pour l’artiste et qu’il trouve, dans son public et en lui-même, des exigences multiples et contradictoires que ses devanciers n’avaient pas connues. On veut et il veut lui-même que ses figures de Christ, de Saints, d’Apôtres, de Vierges aient une expression révélatrice de leur rôle et, en même temps, on veut qu’elles ne s’écartent pas de la vérité ambiante à laquelle les écoles réalistes, le portrait moderne, la photographie nous ont habitués. On est choqué si on leur voit un vêtement de convention à la place du costume de leur temps et de leur pays, qu’on connaît fort bien, et on l’est encore si on le voit de telle sorte qu’il absorbe l’attention par son exotisme, amuse les yeux par ses bariolages, fasse dévier une « Parabole » en une « Orientale. »

Que dire des apparitions, des phénomènes surnaturels, des formes habillant des idées pures ? Elles fournirent autrefois de beaux thèmes à l’artiste. Quoi de plus admirable que le Père Eternel, de la Sixtine, passant dans l’air comme un orage, avec les formes des êtres à venir confusément enroulées dans les plis de son manteau et communiquant un peu de la vie universelle, qui est en lui, du bout de son doigt tendu au bout du doigt tendu de l’homme qui s’éveille languissamment sur la terre ? Mais quoi de plus impossible à figurer de nos jours ? Et comment un artiste pourrait-il incarner, en des visages d’une vie physiologique et particulière, l’idée de Dieu le Père, l’idée du Saint-Esprit, l’idée du Démon, sans choquer, à la fois, les croyans et les artistes ?

C’est qu’il ne suffit pas qu’un sentiment soit répandu et puissant pour que l’art réussisse à l’exprimer : il faut encore qu’il soit de nature « esthétique. » Il y a des sentimens qui s’exaltent en se formant une image précise de leur objet ; il en est d’autres qui, en se formant cette image précise, languissent ou sont blessés. Tel est de nos jours le sentiment religieux. Il habite une très haute région de l’âme où tout contact avec les figurations plastiques ou pittoresques l’offusque. Il y a longtemps que les diables et les Jugemens derniers ont disparu de la peinture religieuse. Les anges ont fait une belle défense, mais ils ont fini par remonter dans l’inaccessible de la pensée