Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/655

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pure, où les plumes de leurs ailes ne risquent pas de se froisser aux machines volantes que l’homme pilote maintenant là où ils régnaient seuls, depuis les tableaux des Primitifs. Pour la même raison, les phénomènes surnaturels de lévitation : les ascensions, les suspensions célestes, les phénomènes d’irradiation : les auréoles, les nimbes, les gloires, n’exaltent plus le sentiment religieux, s’ils sont matériellement représentés. « Il faut que je voie pour que je croie. » Ce vieux mot du rationalisme expérimental est retourné pour notre contemporain et il pourrait plutôt dire : « Pour que je croie, il faut que je ne voie pas. »

Une démonstration décisive nous en est donnée par l’exposition rétrospective d’un des derniers peintres qui aient tenté de résoudre l’insoluble problème, Alfred de Richemont, organisée au Salon des Champs-Elysées, dans une salle du rez-de-chaussée, auprès de l’escalier central. Il y a, là, une trentaine de toiles peintes dans une atmosphère fine et claire et avec un grand souci de « plein air » et de « modernité. » Toute la série de sujets religieux auxquels l’artiste avait dévoué sa vie : de pieuses légendes du moyen âge, une réédition de la célèbre Cuisine des Anges, des légendes bretonnes, avec des figures surnaturelles flottant dans le soleil, comme des vapeurs mal dissipées. Or, de toutes ces toiles, celle qui donne le plus une impression religieuse est précisément celle où rien de surnaturel n’apparaît : c’est une Procession de la Vierge miraculeuse en Bretagne, déjà exposée au Salon de 1908. Des fidèles, des malades en silhouettes dans l’ombre, sous un auvent, regardent passer la procession dans un rayon de soleil, un flot d’or où tout se transfigure comme le bonheur, comme l’espérance, et dans ces contrastes fort naturels d’ombre et de lumière, d’humanité agenouillée et de relique triomphante, on éprouve non pas la surprise d’une hypothétique vision, mais le solide bienfait de la foi.

Aussi, les derniers grands artistes qui ont traité des sujets religieux s’en sont-ils rigoureusement tenus aux scènes tout humaines, aux figures toutes réelles en même temps que divines, demandant seulement à la nature : à un rayon de soleil, à une ombre, à un bout de ciel aperçu derrière une tête, de venir témoigner en faveur de cette divinité. Holman Hunt, Fritz von Uhde, James Tissot, M. Eugène Burnand n’ont pu toucher les âmes chrétiennes qu’en sacrifiant tout l’appareil surnaturel de l’ancienne peinture religieuse. On est plus timide encore