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m’emportera vers des dieux plus doux, des cieux plus démens ! » Quelques-uns même commencent de trouver un peu de poncif dans l’idéal wagnérien.

La musique de Gwendoline, voilà vingt-cinq ans, nous parut un peu grosse : elle n’a pas minci en vieillissant. Le genre barbare est un genre dangereux. On y tombe aisément et lourdement dans la vulgarité. Gwendoline offre maint exemple de ce genre de chute. Le personnage d’Harald, le chef danois, sonne un peu le « bronze d’art, » si ce n’est le zinc. Le poème a quelque chose de wagnérien, mais on rencontrerait plutôt du Reyer dans la partition. Chabrier, en somme, était de ces artistes chez lesquels le sentiment ou l’instinct, la passion même, l’emporte sur le savoir et le style. « Musique avant tout de musicien, » a dit de sa musique un de ses admirateurs. Non pas, car, si c’est un métier, et c’en est un, de faire un opéra, comme de faire un livre, il semble que l’auteur de Gwendoline ne l’ait possédé qu’à demi, ou qu’il l’ait appris trop tard ; qu’il n’ait pu mettre au service d’une nature robuste, de sensations vives et d’idées parfois originales et fortes, qu’une technique incomplète, une plume hésitante et un style mal assoupli. Dans Gwendoline, la grâce même (il y en a) manque parfois de naturel et d’aisance : tel chœur féminin s’embarrasse et s’empêtre en d’assez gauches harmonies. Et puis, et surtout il arrivait que Chabrier trouvât dans la violence l’illusion de la force. Il prenait volontiers le bruit pour la sonorité. Gwendoline fait à peu près constamment un terrible tapage. Avec cela mainte page est digne de survivre. Depuis un quart de siècle, quelques beaux momens, comme l’eût souhaité Gœthe, se sont arrêtés, qui sans doute ne passeront pas. C’est, au premier acte, la ballade de Gwendoline, scherzo farouche, dont le rythme est original et la mélodie éclatante ; c’est encore une cantilène d’Harald, espèce de romance héroïque, où beaucoup de noblesse n’exclut pas un peu de veulerie, avec une certaine banalité. Citons aussi, dans le duo nuptial du second acte, plutôt que les élans passionnés, un intermède paisible, celui qu’on pourrait, d’après l’attitude des personnages, appeler l’épisode assis. Il est souvent le meilleur (souvenez-vous de Tristan) dans les grandes scènes d’amour. Enfin l’épithalame demeure un modèle accompli de polyphonie vocale, un rare et riche morceau de pure musique, le seul peut-être de l’ouvrage où l’écriture serve bien la pensée, où la lettre ne trahisse point l’esprit.

Ni l’esprit ni la lettre de son art ne manque à la principale interprète de Gwendoline, Mme Kousnezoff. Depuis longtemps on n’avait