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pas eu le plaisir d’admirer, dans la voix d’une cantatrice, plus d’éclat sans dureté, plus de pureté sans froideur, et, dans le jeu, les gestes, les attitudes d’une comédienne, en un mot dans toute la personne d’une femme, plus de charme, d’intelligence et de vivacité.

Mieux encore, beaucoup mieux que la Gwendoline de Chabrier, plus inspirée et portée plus haut par une autre musique, Mme Kousnezoff a été la Marguerite de Gounod : une Marguerite genre Nilsson, à la voix pure, limpide, brillante, et qui par instans vous ferait vous demander comme Tristan : « Höre ich nicht das Licht ? Est-ce que je n’entends pas la lumière ? » Par le chant et le jeu, l’artiste rend aux scènes de l’église et de la prison leur puissance. Tendre quand il le faut (et dans ce rôle il le faut souvent) elle l’est peut-être avec moins de naïveté que de grave et noble émotion. Maint détail est compris finement : par exemple, en un passage de la scène des bijoux, essayant le bracelet, au lieu de s’écrier, avec une terreur anticipée et mélodramatique du démon : Dieu ! c’est comme une main qui sur mon bras se pose ! la nouvelle Marguerite exprime, par la voix et le geste, la douceur désirée et d’avance presque ressentie d’une première caresse d’amour. Enfin — nous voulons dire à la fin — Mme Kousnezoff chante la fameuse et triple invocation : Anges purs, anges radieux ! de façon tout à fait rare : d’une voix magnifique d’abord ; et puis en mesure, parfaitement en mesure ; et puis sans aucune hâte, plutôt au contraire avec une certaine retenue, avec une sorte d’intensité croissante et de calme rayonnant. C’est une interprétation originale, grandiose, et qui nous a donné, d’une ancienne et toujours belle page, une impression profonde et renouvelée.

Si nous ne parlons pas de certain pot-pourri chorégraphique dont on a fait suivre Gwendoline, sous le nom, jusqu’ici plus honoré, d’España, ce n’est pas par oubli, mais plutôt par courtoisie pour l’auteur féminin du scénario, Mme veuve Catulle Mendès. C’est aussi parce que nous admirons, mais toute seule, España, l’éclatante rapsodie de Chabrier, sa meilleure œuvre, ici fourvoyée et perdue.


CAMILLE BELLAIGUE.