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commande la porte de sortie de cette grande voie internationale de navigation et de commerce. Le Danube est neutre de par les traités ; la Commission du Danube est chargée de veiller à la liberté de la navigation. Il n’en est pas moins vrai qu’en cas de guerre générale, les canons et les torpilleurs roumains pourraient, en dépit des traités, fermer la sortie du fleuve. Par la Dobroudja, la Roumanie a une fenêtre ouverte sur la Mer-Noire et, par là, sur le monde méditerranéen. Par son port de Constantza, relié à Bucarest par le magnifique pont de Czernavoda, la Roumanie est directement intéressée à l’équilibre balkanique et à l’avenir de l’Empire ottoman. L’ouverture de son port, l’activité commerciale qui s’y est développée, la ligne de navigation qui en part, font dépendre la prospérité de la Roumanie de la liberté du Bosphore et des Dardanelles. Or la question des Détroits implique tout l’ensemble de la question d’Orient ; la Roumanie ne peut pas s’en désintéresser[1].

Mais sa configuration géographique l’engage en même temps dans d’autres problèmes. Elle a la forme d’un croissant qui, s’adossant au Danube, à la Mer-Noire et au Pruth, embrasse dans sa concavité le massif montagneux de la Transylvanie. La corne méridionale du croissant s’allonge vers l’Occident, par la Petite-Valachie, jusqu’aux Portes de Fer où elle confine aux plaines hongroises du Banat dans lesquelles les Roumains sont nombreux, et où elle n’est séparée de la Serbie que par le Danube dont le large cours n’empêche pas les êmigrans valaques de coloniser les cantons serbes du voisinage ; ils s’y comportent d’ailleurs en loyaux sujets du roi Pierre. L’autre corne s’allonge vers le Nord, entre le Pruth et les montagnes, et touche à la Bukovine autrichienne qui envoie au Reichsrat de Vienne cinq députés roumains. Par là, les Roumains sont en contact avec les Petits-Russiens ou Ruthènes, avec les Polonais, les Russes ; toutes les transformations qui peuvent survenir dans l’Europe centrale, tous les conflits qui peuvent y éclater, affectent leurs intérêts. La Moldavie allonge du Sud au Nord, sur une grande étendue, ses fertiles campagnes ; elle s’interpose, comme un tampon, entre les plaines russes et les Carpathes austro-hongroises ; dans une guerre entre l’Autriche et la

  1. Voyez, sur ce point, notre étude sur la Mer-Noire et les Détroits de Constantinople, dans la Revue du 15 octobre 1905.