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où les choses se passeraient ainsi, il n’en reste pas moins que les Roumains occuperaient une partie du territoire bulgare et que les opérations de l’armée aux prises avec les Turcs en seraient singulièrement contrariées. La prudence du roi Ferdinand a mesuré toutes ces difficultés ; elles lui ont paru assez graves pour imposer la paix à la Bulgarie frémissante. A l’automne dernier, au moment où les Turcs, sous prétexte de désarmement, se livraient en Macédoine aux sévices dont nous avons donné ici quelques exemples[1], en Bulgarie l’opinion publique, violemment irritée, reprochait au Roi et au gouvernement leur inaction ; des réfugiés macédoniens, étalant leurs plaies et leurs haillons, émouvaient la pitié de leurs frères bulgares ; la situation était menaçante ; on allait jusqu’à dire qu’une révolution pouvait emporter le trône du roi Ferdinand ; c’est à ce moment précis qu’un journal français donna, comme venant de Constantinople, la nouvelle d’une convention militaire turco-roumaine, si bien qu’il est permis de se demander si cette révélation, vraie ou fausse, n’aurait pas été destinée à expliquer et à justifier l’attitude résolument pacifique du roi Ferdinand ; l’auteur de cette utile indiscrétion n’aurait fait, pour ainsi dire, que concrétiser en un fait significatif toute une situation politique sur laquelle il aurait voulu attirer l’attention.

Une convention militaire turco-roumaine ne serait, en effet, que la traduction écrite de la politique qui engage dans un même système la Triple-Alliance et, avec elle, la Roumanie et, jusqu’à un certain point, la Turquie. Le roi Carol ne s’accommoderait pas aujourd’hui de la neutralité que Bratiano et Kogalniceano demandaient pour la Roumanie au Congrès de Berlin. Sur les confins de la péninsule Balkanique, il se regarde comme la sentinelle avancée de la Triple-Alliance et du germanisme. L’Allemagne, dont l’influence est si forte aujourd’hui à Constantinople, ne peut qu’être favorable à une entente militaire entre la Turquie et la Roumanie. L’armée roumaine est exercée à l’allemande, elle a des canons Krupp et des fusils allemands, comme l’armée turque. Les grandes puissances préfèrent ne pas s’engager elles-mêmes dans les affaires balkaniques ; l’Allemagne, en particulier, trop éloignée pour s’y mêler directement, serait bien aise de trouver un prête-nom qui jouât son jeu et

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1911.