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Malgré ces symptômes alarmans, la germanisation de la Roumanie ne nous paraît ni proche, ni même probable ; le génie latin, dont la race est imprégnée, s’insurge contre les disciplines tudesques qu’on voudrait lui imposer. La tendance actuelle des Roumains est bien plutôt de développer leur culture nationale, et pour y réussir, c’est parmi les peuples latins qu’ils iront chercher des modèles.

La politique et les affaires peuvent orienter vers Berlin les hommes d’Etat roumains : primo vivere. Mais les « affinités électives » de la race restent latines et françaises : deinde philosophari ; sans parler des descendans des anciens boyards et des princes phanariotes qui viennent chez nous « philosopher » à la mode épicurienne, nos écoles accueillent un grand nombre, de jeunes Roumains studieux ; ils s’assimilent sans peine nos méthodes, nos lettres, nos arts, nos sciences. Le génie roumain est si proche parent du nôtre que, parmi les écrivains contemporains qui manient avec le plus d’élégance raffinée la langue française, plusieurs sont d’origine ou de nationalité roumaine. Perdue au milieu des Slaves orientaux, menacée dans son individualité nationale par la poussée germanique dont les Juifs, à l’afflux desquels les lois résistent énergiquement, sont les fourriers, comment la Roumanie, qui a le désir passionné de rester elle-même, ne se rattacherait-elle pas, avec toute l’ardeur de sa foi en ses destinées, à la civilisation latine ? Au lieu de l’encourager, c’est nous qui, au Congrès de Berlin, avons demandé, avec l’appui de Bismarck, la naturalisation des Juifs de Roumanie qui, dans ce pays latin, parlent allemand et sont les plus actifs propagateurs du germanisme.

Dans tous les domaines, nous l’avons vu, la tendance de la Roumanie actuelle est d’arriver à se suffire à elle-même et de ne travailler que dans son propre intérêt. Ce n’est encore qu’une tendance, mais il nous appartient de la favoriser chaque fois que l’occasion nous en est donnée. Le trône lui-même n’appartiendra pas toujours à un prince que toute sa jeunesse, ses souvenirs et affections rattachent si étroitement à la maison de Prusse, et qui a été capitaine de dragons prussiens. Par la force des choses et du temps, la dynastie ira se roumanisant de plus en plus, s’identifiant à la nation. Le milieu politique dans lequel évolue la Roumanie peut se transformer, plus tôt