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peut-être qu’on ne le pense, et du même coup ses intérêts peuvent se trouver profondément modifiés, tandis que sa civilisation, son âme nationale resteront toujours latines.


C’est ce que la France ne doit pas oublier. Il est temps encore, pour nous, de travailler, en Roumanie comme dans tout l’Orient, à maintenir la suprématie de notre langue, et de notre culture. Nous nous plaignons d’être battus, mais n’est-ce pas nous qui désertons le champ de bataille ? Au point de vue économique, nous nous désintéressons de la Roumanie : nos capitaux ne prennent qu’une part infime à son magnifique développement industriel et commercial ; nos voyageurs ne viennent pas proposer nos marchandises qui sont aisément supplantées par les produits allemands ; les maisons françaises se font représenter par des Allemands ; notre commerce avec la Roumanie est tombé à un chiffre minime[1].

Nos livres, nos productions intellectuelles sont encore, de beaucoup, les plus recherchés ; l’aristocratie roumaine parle le français comme sa langue maternelle ; mais des classes nouvelles commencent à s’élever, à s’enrichir, et aspirent à une culture plus développée : c’est pour elles que nous devrions organiser l’enseignement du français et développer le goût de notre littérature et de notre art.

Ces hommes nouveaux, qui montent aujourd’hui au premier rang, sont patriotes et nationalistes ; ils se défient des influences étrangères et travaillent à l’émancipation intérieure et extérieure de leur pays. Si nous savons comprendre leurs

  1. Nous vendons à la Roumanie pour 23 millions de francs de marchandises (1909) et l’Allemagne pour 124 millions. Il y a trente ans, les Français vendaient pour 35 millions, les Allemands pour 5 ; il y avait à Jassy 22 magasins français ; il n’y en a plus qu’un. Les emprunts dont la Roumanie a besoin sont tous faits par les banques allemandes. Les Allemands ont su, avant nous, reconnaître que le crédit de la Roumanie est bon et se faire ses fournisseurs d’argent. En 1899, le gouvernement roumain chercha à faire un emprunt à Paris ; les conditions qui lui furent offertes lui parurent témoigner d’une injuste défiance envers un pays qui a toujours été bon payeur. L’emprunt fut couvert à Berlin, et la finance française ne consentit à en prendre une partie qu’en exigeant qu’une juridiction spéciale d’arbitrage fût constituée pour juger l’affaire de l’entrepreneur Hallier qui avait commencé, puis abandonné les travaux du port de Constantza. Cette aventure pèse encore sur nos relations économiques avec la Roumanie, pour fâcheuse qu’elle ait été, elle fut cependant moins grave et elle a coûté moins cher aux Roumains que le krach de Stronsberg, l’entrepreneur allemand de leurs chemins de fer.