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irréligieuse ne sont-ils pas bien significatifs[1] ? Et René serait-il si vivement épris d’apostolat à rebours, s’il était aussi détaché qu’il le croit peut-être de la « religion romaine ? »

De fait, un soir, sur le bateau, la cloche de la prière venant à sonner, il va « mêler ses vœux à ceux de ses compagnons ; » et, sans doute, la grandeur, la majesté du spectacle lui inspire alors, avec cette velléité religieuse, des sentimens bien profanes[2]. Mais au retour, au moment du naufrage, un des matelots français, nous dit-il dans les Mémoires, « entonna ce cantique à Notre-Dame de Bon-Secours, premier enseignement de mon enfance : je le répétai à la vue des côtes de la Bretagne, presque sous les yeux de ma mère. » Le danger, la pensée de la mort, la vue de la Bretagne et le spectacle de la piété bretonne, tout cela, manifestement, lui a, si j’ose dire, remis l’âme dans son état primitif ; tout cela a fait surgir du fond de sa conscience les impressions religieuses de son enfance, et brusquement refoulé la couche, plus superficielle qu’il ne pense, de sentimens et d’idées qu’ont déposée dans son esprit ses lectures philosophiques.

« Le malheur est religieux, lisons-nous dans les Natchez ; la solitude appelle la prière. » Et si nous étions plus assurés que cette singulière épopée n’eût pas été considérablement remaniée en vue de la publication en 1827, nous pourrions y noter longuement, dans le choix des personnages, — René et le P. Souël notamment, — dans la composition de leurs caractères, — surtout si l’on y joint Atala et René qui en faisaient primitivement partie, — dans la curiosité des différentes mythologies et dans l’opposition des divers « merveilleux, » dans maints détails et maintes réflexions, la persistance de la préoccupation religieuse ; nous pourrions y relever aussi un trait qui ne laisse pas d’être parfois assez déplaisant, une sensualité violente et sombre qui volontiers s’accommode, s’aiguise, se renforce et se pimente du voisinage des choses de la religion. Mais encore une fois, à insister davantage, on risquerait peut-être de mêler et de

  1. Essai sur les Révolutions, éd. Garnier, in-8, p. 603-606, note (II, LIV). — Cf. p. 606-610, les réflexions d’un tour très voltairien que lui inspire la vue d’un couvent de moines aux Açores. — Tous ces détails nous sont d’ailleurs confirmés par le récit de l’abbé de Mondésir.
  2. Mémoires, éd. Biré, t. I, p. 348-349. — Chateaubriand a décrit cette scène, mais en idéalisant et purifiant ses propres impressions, dans le Génie du Christianisme (I, V, ch. XII).