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sacrifice sera inutile, comme tous les sacrifices. Et ce sera moins théâtre, mais plus vrai… Du moins est-ce dans cette direction que la pièce nous semble orientée.

Au second acte, dès le lever du rideau, nous apprenons qu’Henriette est devenue la maîtresse du jeune Amédée, et nous l’apprenons avec stupeur. Rien ne nous avait préparé à l’idée que cette honnête femme fût à l’instant de la chute. Henriette est d’ailleurs aussi calme dans la faute qu’elle avait été calme dans la vertu : c’est une personne éminemment calme. Brusquement aussi la pièce change de ton. Des scènes se succèdent qui sont d’un comique appuyé, d’une ironie soulignée. Devant les allures nouvelles d’Henriette, qui maintenant s’épanouit, soigne sa toilette, et parle, et rit, et prend des airs d’indépendance, le mari ne doute pas que quelqu’un ne l’excite, ne lui monte la tête, enfin qu’il n’y ait quelqu’un entre sa femme et lui ; et ce quelqu’un, sa perspicacité de mari n’hésite pas à le désigner et à le nommer : c’est une femme, c’est Mme Laubourdin ! Puis une scène très amusante encore, où Amédée, qui est décidément un niais, ne parle à Henriette que de son affection et de son admiration… pour le mari qu’il trompe. Cependant, au cours d’une discussion avec le cher maître, et poussée à bout par l’insolence du personnage, Henriette, en manière de défi, lui jette à la face son secret : elle a un amant, mais oui, comme il a, lui, une maîtresse. La colère de Ducrest s’exhale en termes tout à fait bouffons : « Tu m’as fait ça, à moi, à un homme comme moi ! » Aucun autre sentiment que la vanité blessée, l’amour-propre humilié. À cette minute, l’homme fort, l’homme heureux, le surhomme, dans sa stupéfaction que la plus vulgaire des mésaventures ne lui ait pas été épargnée, nous apparaît franchement ridicule. La pièce a tourné en vaudeville, en un vaudeville très académique et tel que peut l’admettre la gravité de la Comédie-Française.

Cette formule en vaut une autre, mais à la condition qu’on s’y tienne. Or, derechef, au troisième acte, nous revenons à la comédie sentimentale, ou plutôt nous aboutissons au drame bourgeois. Ducrest est très malheureux. Il ne veut pas demander le divorce, ne se souciant pas que son accident s’ébruite. Songez donc, un homme comme lui ! D’autre part, il serait curieux de savoir le nom de son rival. Devant le refus où s’obstine Henriette de lui livrer ce nom, il a songé à s’adresser à l’une de ces agences de « renseignemens dans l’intérêt des familles » qui nous envoient de temps en temps leurs prospectus alléchans par la promesse de la plus engageante discrétion. Mais il