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au village natal, où elle comptait implorer le pardon de son père.

Adorée de son amant, respectée des paysans d’alentour, qu’elle avait secourus ou protégés en mainte occasion, admise librement à la jouissance de tous les plaisirs mondains, Marguerite affirmait pourtant que sa vie, pendant ces neuf années de splendeur, avait été loin d’être heureuse. Toujours une sourde angoisse l’avait rongée, sans qu’elle sût au juste comment ni pourquoi : car l’immoralité de sa liaison ne l’avait jamais sérieusement inquiétée, et tout ce qu’elle connaissait de la religion consistait en une courte prière que sa mère, jadis, lui avait apprise : « Seigneur Jésus, je t’invoque pour le salut de tous ceux pour lesquels tu désires que je prie ! » Tout au plus était-ce sans doute un vague instinct religieux qui, uni à un vague remords, l’avait toujours portée à craindre et à éviter les frères franciscains qu’elle voyait passer, pieds nus, sur la route devant les fenêtres de son château, ou parfois s’attabler dans sa cuisine en compagnie de ses serviteurs. Cette vue lui inspirait une véritable épouvante, comme si chacun des frères qu’elle rencontrait lui eût paru expressément chargé d’une mystérieuse et terrible menace à son endroit. Mais par-dessous tout cela il y avait, au fond du cœur de la jeune femme, une sorte d’aversion inconsciente pour cette vie mondaine où personne cependant n’apportait plus d’entrain et de belle humeur. « Ne me saluez pas, disait-elle aux vassaux de son amant, ne m’adressez pas la parole ; car vous ne savez pas quelle femme je suis ! » Ou bien ses amis, au milieu d’une fête, l’entendaient tout à coup exprimer le regret de ne pouvoir pas achever ses jours dans un ermitage de la montagne, occupée à pleurer ses péchés et ceux des autres hommes.

Et voici que, brusquement, cette vie avait pris fin ! Après une affreuse nuit de marche, où Marguerite avait failli se noyer en voulant franchir à la nage les eaux gonflées d’un torrent, la fugitive était arrivée dans la maison de son père ; et le brave homme, d’abord, s’était montré disposé à la recueillir. Mais bientôt la belle-mère était survenue, qui, pleine de vertueuse indignation, avait sommé le vieillard de choisir entre elle et cette fille perdue. De telle sorte que le père de Marguerite avait été forcé de signifier à celle-ci qu’elle eût à se chercher un asile ailleurs ; et la porte de la maison paternelle s’était refermée sur elle ; et la jeune femme, désespérée, était allée s’asseoir un moment dans le vieux jardin de la maison, sous un grand figuier qui souvent, autrefois, avait abrité ses jeux d’enfant avec ses compagnes.