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Épuisée par la longue fuite nocturne et toute bouleversée par l’émotion, elle s’assit au pied de l’arbre, et pleura longtemps. Les heures s’écoulaient, le soleil de l’automne italien projetait sur le sol sa brûlante lumière. Alentour s’étendait le petit village, tout rempli de l’activité laborieuse, et cependant tranquille, de la matinée. Peut-être Marguerite voyait-elle passer sur la route des femmes qu’elle avait eues pour amies neuf ans auparavant, et qui à présent étaient d’heureuses jeunes mères, heureuses comme le sont aujourd’hui encore leurs jeunes descendantes, dans ces rians et paisibles hameaux d’Italie. La vie simple et douce, dans sa beauté calme, se déroulait devant Marguerite, évoquant en elle l’image d’un bonheur dont elle-même, de son gré, s’était privée à jamais.

Et pourtant Marguerite était encore jeune, était encore belle ! Si même elle l’avait oublié, les yeux de tous les hommes qu’elle rencontrait n’auraient point manqué de le lui rappeler. Il n’y avait pas jusqu’à sa robe de deuil et à la pâleur de ses traits qui ne la rendissent plus charmante et plus désirable. Combien il lui serait facile de mettre à profit cette beauté, d’attirer les hommes à ses pieds, de se jouer d’eux et de les enivrer, sauf à les repousser ensuite loin de soi, lorsqu’elle n’aurait plus aucun avantage à en obtenir !

Et qui donc pourrait lui en faire un reproche ? N’était-elle pas revenue avec les meilleures intentions du monde ? Humblement elle avait voulu tomber aux genoux de son père, aux genoux de la belle-mère jadis détestée, et puis se relever avec une nouvelle provision d’énergie tranquille, afin de commencer une vie nouvelle. Ah ! tout cela lui était apparu si certain et si beau, la nuit précédente, durant sa fuite du château de Palazzi ! C’était cette image qui lui avait prêté la force de lutter contre les ténèbres et contre l’eau du torrent : tant elle avait aspiré à ces larmes, à ce pardon, à cette consolante rentrée dans la vie régulière !

Et voilà que tout avait tourné bien différemment ! Voilà qu’à présent elle se tenait là, chassée de la maison familiale comme une étrangère, après avoir entendu se refermer sur elle le loquet de la porte ! Cependant le figuier de son enfance étendait au-dessus d’elle ses branches tordues, et les cigales chantaient, tout à fait comme dans les jours des étés d’autrefois. Tout restait pareil à ce qu’il avait été autrefois : elle seule, Marguerite, n’était plus la même ! Comme une criminelle ou une pestiférée, elle se voyait chassée de la maison de son père !

Marguerite resta longtemps assise sous le figuier, tandis qu’autour d’elle tout s’endormait sous la rayonnante chaleur de midi. Et la tempête de son orgueil, le tourbillon de son désespoir, peu à peu s’apaisèrent : le calme renaissait dans cette âme troublée. Bientôt la voix de la chair fit silence, pour céder la parole à cette voix qui, jadis, avait dit à Xathanaël : « Je t’ai vu, tout à l’heure, pendant que tu étais sous le figuier ! »

Et alors ce fut l’ancien désir de ses jours de splendeur et de honte qui, de nouveau, s’éleva en elle : le désir de la solitude et de la paix, d’une vie « vécue dans la solennité et la dévotion. » Maintenant tous les obstacles de naguère se trouvaient heureusement écartés : les chaînes d’or sous lesquelles longtemps elle avait soupiré étaient désormais brisées ; devenue