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offrir un spectacle plus étonnant encore aux habitans des villages voisins du château qu’elle avait naguère habité : car elle s’était mis en tête de s’y rendre en compagnie d’une vieille femme qui, la menant au bout d’une corde, aurait crié de maison en maison : « Regardez cette Marguerite qui, autrefois, vous a donné à tous un si mauvais exemple ! » Installée avec son fils dans une espèce de hangar ou d’abri, la pénitente partageait maintenant ses journées entre la prière et les œuvres charitables. Elle soignait les malades, lavait et emmaillotait les enfans nouveau-nés, recueillait chez soi des mendians qu’elle nourrissait avec abondance, tandis qu’elle-même et son fils avaient à se contenter d’un peu de pain trempé dans de l’huile. Jamais peut-être, depuis l’aube héroïque du mouvement franciscain, personne ne s’était plus passionnément employé à l’application des principes évangéliques du Poverello. Et cependant la jeune femme ne parvenait pas à se gagner, dans cette vie nouvelle, la sympathie et la confiance dont elle s’était vue entourée durant les neuf années de sa vie mondaine. Les frères eux-mêmes semblaient éprouver pour elle plus de compassion que de véritable estime : ne lui firent-ils pas attendre quatre ans la faveur de cette admission dans le Tiers-Ordre qui était devenue, désormais, l’unique objet de ses rêves ? Moines et laïcs lui reprochaient notamment sa dureté à l’égard de son fils, dont la vue pouvait bien lui être pénible en raison des souvenirs détestés qu’elle lui rappelait, mais sans qu’elle eût le droit de l’en punir en ne tempérant d’aucun signe de tendresse l’effroyable rigueur des privations où elle le condamnait. Et puis, surtout, chacun avait l’impression qu’il y avait en elle un orgueil, un désir d’étonner le monde et de s’imposer d’assaut à sa vénération, qui, à son insu, l’inspirait plus encore que sa piété et son repentir dans le zèle enflammé de sa pénitence.


Aussi bien cette lutte en elle de l’humilité chrétienne et d’un farouche orgueil instinctif constituera-t-elle, à nos yeux, le principal élément tragique de la vie de sainte Marguerite de Cortone, en attendant que la victoire de l’humilité sur l’orgueil vienne constituer le trait le plus profond de sa sainteté. Ou plutôt, j’ose à peine l’avouer, mais il me semble qu’un peu de cet orgueil indomptable a survécu jusqu’au bout dans un recoin de son cœur, sauf à s’y accommoder des progrès incessans de l’humilité au moyen d’un curieux dédoublement de l’être intime de la visionnaire. Car le fait est que, durant tout le cours de ces dialogues avec le Christ qui vont bientôt devenir