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libre, allait-elle se remettre en servitude, et chercher volontairement une nouvelle cage pour y emprisonner son âme ?

La pensée de Marguerite se transforma involontairement en une prière. Elle se sentait si faible contre son corps, mais surtout contre l’orgueil passionné qui, de tout temps, avait rempli son cœur ! Force lui était d’implorer du secours, dans cette lutte inégale ; et quel autre secours implorer que celui du Père céleste, le véritable ami de toute âme, le seul fiancé dont l’amour ne trompe jamais ? En cet instant, le cœur de Marguerite se ferma à l’amour terrestre pour s’ouvrir tout entier à l’amour éternel. « Seigneur, mon Dieu, soyez mon maître et montrez-moi ma route ! » Elle-même nous apprend que c’est ainsi qu’elle pria, du plus profond de son être.

Et, selon qu’elle l’avait demandé, sa route lui fut montrée. Tout d’un coup, son ancienne crainte des Franciscains aux pieds nus se réveilla en elle avec sa signification véritable : elle comprit clairement que c’étaient eux, et nuls autres, qui pouvaient et devaient lui venir en aide. Une voix, au dedans d’elle, lui cria : « Rends-toi sur-le-champ à Cortone, pour t’y soumettre avec obéissance à la direction des frères Mineurs ! »

Dorénavant, Marguerite était sauvée. Aussitôt elle se redressa, pleine d’ardeur et de courage, prête à accomplir la volonté divine. Un coup d’œil encore à la vieille maison dont le seuil lui était interdit pour toujours ; et puis adieu à Laviano, adieu à la région natale, en route vers la lointaine Cortone, là-bas à l’autre extrémité de la vallée de la Chiana !


Le soir même de son arrivée à Cortone, Marguerite fut présentée par les deux pieuses dames au Père gardien et aux frères d’un couvent franciscain du voisinage ; et il va sans dire que ceux-ci, tout d’abord, ne songèrent qu’à se réjouir du spectacle d’un repentir aussi édifiant. Mais bientôt ces bons frères eux-mêmes se sentirent un peu effrayés de l’ardeur impétueuse avec laquelle la jeune pécheresse entendait procéder à l’expiation de sa vie passée. Non contente de s’être, tout de suite, coupé les cheveux, et d’avoir échangé sa robe de velours contre de misérables haillons qu’elle s’acharnait encore à salir en les arrosant de boue ainsi que son visage, n’allait-elle pas jusqu’à vouloir aussi se couper le nez, afin d’enlever à ses traits toute trace de leur maudite beauté de jadis ? Un dimanche, quelques semaines après son départ de Laviano, les habitans de ce village virent entrer dans leur église une singulière figure de mendiante, nu-pieds, ayant une corde autour du cou à la manière des criminels que l’on menait pendre ; et voilà que, l’office divin terminé, cette mendiante, en qui chacun avait reconnu l’ancienne compagne du seigneur de Pecora, s’en alla s’agenouiller devant la plus riche dame du village, lui baisa les pieds parmi des torrens de larmes, et, proclamant à haute voix ses péchés, la supplia de daigner les lui pardonner ! Après quoi il fallut une défense expresse des frères de Cortone pour l’empêcher d’aller