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dans leurs vers, de Dieu, de Jésus-Christ, des anges, mais à titre de poésie, sans conséquence mauvaise, ni bonne, et cela même était triste. Les poésies de Mme Desbordes-Valmore sont remplies de ces grands noms ; le dernier surtout y est prodigué à un point qui frappe tout le monde, et appliqué comme aucune femme ne s’en était encore avisée ; c’est que le ciel seul lui fournit des images proportionnées à une passion qui n’est qu’une perpétuelle apothéose :

… Dieu, c’est toi pour mon cœur ;
J’ai vu Dieu : je t’ai vu !

« Ce sont là de grandes impiétés et mieux vaudrait cent fois l’absence de toute allusion aux idées religieuses qu’une aussi déplorable profanation[1]. »

À plus forte raison, Vinet aurait-il refusé de saluer un croyant dans ce Baudelaire qui, de son éducation catholique, semble n’avoir retenu que la notion du péché, et qui en part pour s’adonner avec malice à la joie du mal.

Toute une aile de l’armée décadente et symbolique suit cette route ouverte par l’orgueil de l’homme en lutte contre le divin. Le reste, — centre et aile droite, — plante ses tentes dans la clairière de mysticité où campèrent Marceline Desbordes-Valmore et Verlaine.

Nous n’en sommes plus à ce carrefour de Pythagore où le sage s’engageait dans la voie choisie avec la sensation de son indépendance totale : presque toujours notre mysticisme est un peu sensuel et notre sensualité un peu mystique : jamais, plus qu’aujourd’hui, la chair et l’esprit ne sont apparus étroitement rivés l’un à l’autre ; de ce fait, dans les pires abandons de l’instinct naturel ou perverti, nous conservons la souffrance du ciel.

À cet égard, rien de plus caractéristique que la vie et l’œuvre de Verlaine. Du mysticisme se cache sous les Fêtes galantes, de la sensualité éclate dans les pages les plus pieuses de Sagesse. Ce n’est point ici artifice de poésie : c’est la fusion d’un cœur dans le cœur d’un Dieu. C’est un amour gratuit, affolé, absolu, indépendant de toute idée de récompense ou de châtiment. Dans sa manifestation, cet amour est merveilleusement moderne.

  1. Le Semeur, 1833.