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Il a fallu notre temps, la liberté qu’il accorde à toute sincérité pour que la « transe divine » de celui qui, lui-même, se nommait « le pauvre Lélian » pût prendre la forme d’une poésie accessible aux mécréans aussi bien qu’aux croyans.

Comme si les causes de cette évolution du poète vers un idéal qui, momentanément, l’arrachait aux opprobres de sa vie, n’étaient pas assez évidentes, Verlaine a cru devoir les préciser. Au cours de ses Poètes maudits, il consacre une page, — dont la répercussion a été profonde dans les cerveaux et dans la sensibilité des poètes nouveaux, — à expliquer comment il se croyait libre de faire alterner, dans ses recueils, des vers pieux avec des cris de sensualité, de la même façon que le péché et la contrition se sont côtoyés dans sa vie :

« Ce que devient, dans tout ceci, l’unité de pensée ? » demandait-il ingénument : « Mais elle y est ! Elle y est au titre humain, au titre catholique, ce qui est la même chose à nos yeux. Je crois et je pèche par pensée comme par action ; je crois et je me repens par pensée en attendant mieux. Ou bien encore : Je crois et je suis bon chrétien en ce moment ; je crois et je suis mauvais chrétien l’instant d’après. Le souvenir, l’espoir, l’invocation d’un péché me délectent, avec ou sans remords. Cette délectation, il nous plaît de la coucher sur le papier et de la publier plus ou moins bien ou mal exprimée ; nous la consignons enfin dans la forme littéraire, oubliant toutes idées religieuses ou n’en perdant pas une de vue. De bonne foi, me condamnera-t-on comme poète ? Cent fois non ! Que la conscience du catholique raisonne autrement ou non, ceci ne nous regarde pas… »

Cette impulsive sincérité de Verlaine n’était pas plus facile à imiter que son génie, mais au moment même où la jeunesse littéraire venait de retrouver le sens du mystère, de découvrir les liens intimes qui unissent le lyrisme à l’esprit religieux, elle ne devait pas oublier les magnifiques émotions d’art dont les contrastes de l’œuvre du pauvre Lélian lui avaient fourni l’émotion.

Ainsi le désir, sinon la volonté de la foi, s’est éveillé chez beaucoup d’entre ces jeunes poètes. Peut-être est-ce aux époques le moins raisonnablement religieuses, que l’on s’entretient le plus avec Dieu ? Le fait est que les croyans du XVIIe siècle ont rarement éprouvé le besoin de manifester leur foi dans des