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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/131

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voté que par esprit de discipline monarchique les lois sur la suspension de la liberté individuelle et les Cours prévôtales, dont elle ne confiait l’application qu’avec une extrême méfiance à des hommes qu’elle suspectait, tels que M. Decazes et M. Barbé-Marbois ? C’est là ce qu’a affirmé ultérieurement M. de Villèle[1]. Peu importe ; ce qui est sûr, c’est que cette idée de la création d’une juridiction spéciale et temporaire, à laquelle on déférerait, parmi d’autres attributions, la répression des actes de révolte et des manifestations séditieuses, fut le résultat des craintes éprouvées par un grand nombre de royalistes au lendemain de la seconde Restauration.

Une opinion partout répandue dans les milieux monarchiques attribuait l’extraordinaire succès de l’expédition de Napoléon en mars 1815 aux complicités réunies par une vaste conspiration, tramée dans tout le royaume. S’il nous apparaît aujourd’hui comme certain que le retour de l’Empereur, préparé par un petit groupe d’initiés, se présenta comme une surprise pour la masse des adversaires du gouvernement royal, on comprend cependant qu’une croyance différente ait pu trouver du crédit parmi les contemporains qui venaient d’assister à des événemens aussi exceptionnels. De là un sentiment d’appréhension très vif, chez les amis du trône, contre les projets que pouvait méditer un parti vaincu, mais qui ne se soumettait qu’en frémissant à sa défaite. En pareil cas, ce que les défenseurs du pouvoir réclament toujours, ce sont des mesures de rigueur, peu efficaces souvent, mais qui trompent leur désir d’action et leur servent à affirmer leur zèle. Dès lors, la tentation était grande de se servir de la faculté réservée par l’article 63 de la Charte de 1814, qui, après avoir interdit la création de « commissions et tribunaux extraordinaires, » ajoutait : « ne sont pas comprises sous cette dénomination les juridictions prévôtales, si leur rétablissement est jugé nécessaire. » Il est probable que l’exception ainsi apportée par la Commission de rédaction de la Charte au texte du projet sénatorial du 6 avril 1814, avait été inspirée, sans qu’on eût en vue un but particulier de répression politique[2], par une réminiscence de l’ancienne juridiction des « prévôts des

  1. De Villèle, Mémoires, t. I, p. 374.
  2. Le comte Beugnot, en nous retraçant les délibérations de la Commission de rédaction de la Charte, ne nous donne aucun éclaircissement à cet égard. Mémoires, t. II, p. 239-245.