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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/163

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les irritent par leurs folles exigences, leur manque de parole, leurs vexations, leurs lenteurs calculées. Les missionnaires, ne pouvant employer des procédés aussi… vifs, ont grand’peine à venir à bout de la mauvaise volonté qu’on leur oppose. Un jour, le P. Augouard voit ses porteurs s’arrêter après un quart d’heure de marche et jeter leurs charges à terre. Le guide leur avait persuadé que, s’ils allaient plus loin, ils rencontreraient des hommes avant la bouche sous le bras, et dont la vue seule les ferait mourir ! Mais le missionnaire, ne perdant pas son sang-froid, finit par obliger ce drôle à rassurer les poltrons et à les conduire encore pendant deux jours, au bout desquels, pouvant se passer de ses services, il lui remit un billet ainsi conçu : Le chef porteur de ce billet est le plus fieffé coquin que j’aie jamais rencontré, lui recommandant de montrer ce certificat à tous les blancs qui s’adresseraient à lui.

La caravane atteignit enfin, le 17 septembre, le village de Mfoa auquel la Société de géographie venait de donner le nom de Brazzaville. Malheureusement, Brazza manquait au rendez-vous et, le sergent Malamine ayant été très inopportunément relevé de son poste, les indigènes (Batékés) faisaient semblant de l’avoir oublié. Aucun d’eux, bien entendu, ne se rendait compte que leur pays avait été annexé à la France. Leur chef, après avoir obtenu les cadeaux auxquels il tenait le plus : un fusil à pierre, un habit brodé et un chapeau gibus, signifia aux blancs d’avoir à déguerpir et défendit, sous peine de mort, à ses sujets de leur vendre des vivres. Force fut de battre en retraite à travers des plaines marécageuses pour s’établir, à 28 kilomètres de là, sur la petite rivière Linzolo. En trois jours, une case fut construite avec le bois, les lianes et les herbes du voisinage : ce furent les premiers élémens de la mission de Saint-Joseph. La population paraissait douce et accueillante, mais il ne fallait pas s’y fier : les religieux, à peine installés, apprirent qu’un de leurs voisins étant très malade, ses amis lui avaient coupé la tête pour l’empêcher de mourir (car les Batékés font moins de cas de la chair de ceux qui meurent de mort naturelle), et l’avaient enterrée solennellement tandis que le corps était coupé en morceaux et partagé entre les familles du village pour être mangé. Les indigènes en usaient de même avec tous les moribonds. Aussi ne pouvaient-ils comprendre la répugnance des blancs pour la chair humaine. « Vous ne savez pas