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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/172

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L’intention d’aller fonder une mission dans le Haut-Oubanghi, à 1 850 kilomètres de la côte, non loin des territoires où, trois ans auparavant, M. Musy avait été tué et mangé avec douze de ses hommes et où, plus récemment, M. de Poumayrac et ses 40 compagnons avaient subi le même sort. Mgr Augouard venait d’héberger, durant quelques semaines, à Brazzaville le jeune duc d’Uzès qui allait se joindre à l’expédition Liotard (composée de 80 hommes dont 7 blancs), pour venger ce massacre, dont les indigènes (Boubous) tiraient une grande gloire. Peu de temps auparavant, l’expédition belge Hodister avait été anéantie, sur le Haut-Congo, par les Arabes : ceux-ci n’avaient pas seulement tué les malheureux Belges, ils en avaient martyrisé plusieurs d’une façon atroce, allant jusqu’à leur couper les bras qu’ils faisaient dévorer par les cannibales sous les yeux mêmes des victimes. Mgr Augouard, rappelant à ce sujet que les expéditions Fourneau et Crampel avaient été massacrées deux ans auparavant par des Arabes, en profitait pour réfuter l’erreur commise par tant de coloniaux (à commencer par Brazza lui-même) qui comptent sur les Arabes pour conduire peu à peu les noirs à la civilisation. Crampel avait été trahi par un musulman d’Alger, en qui il avait pleine confiance ; Brazza avait amené au Sénégal un marabout qui lui faussa compagnie dès qu’il se trouva en contact avec des congénères. L’exemple postérieur de M. de Béhagle massacré (1899) par 37 Arabes, celui tout récent du Ouadaï, prouvent assez combien les préventions de Mgr Augouard étaient justifiées !


Je ne puis concevoir, écrivait-il en 1893, l’aberration de certains esprits qui prétendent que la civilisation musulmane est un intermédiaire nécessaire entre la vie sauvage et la vie européenne… Partout où l’Arabe a passé, il est impossible d’établir l’influence française : je préfère cent fois les anthropophages à ces ignobles marchands d’esclaves qui nous anéantiront dès qu’ils y trouveront profit[1].


Au moment où il traçait ces lignes, « l’évêque des anthropophages, » ainsi qu’on l’a appelé, ne se laissant pas impressionner par de sinistres précédens, allait voir de près ces fameux Bondjos qui nous aiment tant. Le premier village

  1. En 1902, Mgr Augouard a signalé à l’attention du commissaire général une école clandestine de marabouts que des musulmans avaient fondée à Brazzaville et où l’on était loin d’enseigner l’amour de la France. « D’où venait l’argent et qui payait ces agens pour démolir l’influence de la France en faveur de l’Islam ? »