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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/173

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qu’il visita était celui où le P. Allaire avait failli être dévoré ; c’était un gros bourg, perché à une assez grande hauteur au-dessus du fleuve et qui, défendu comme tous les villages bondjos, par des palissades et des fossés avec pont-levis que des sentinelles gardent jour et nuit, avait l’aspect d’une place forte. Tenant à leur prouver que les blancs n’ont pas peur, l’évêque était descendu seul et sans arme, avec le P. Rémy, au milieu des cannibales qui, faisant grimacer leur face hideuse, agitaient lances et boucliers d’un air menaçant. Les deux missionnaires purent néanmoins entrer sans obstacles par la porte basse qui donnait accès dans la place, mais les têtes de morts exposées de toutes parts n’avaient rien de rassurant, non plus que les gestes et les propos des indigènes qui, « sous prétexte d’examiner la croix et l’anneau de l’évêque, lui palpaient les mains en échangeant leurs réflexions sur ce que la peau d’un blanc, et surtout d’un chef blanc, devait être excellente à manger avec des bananes. »

Un jour, dans un village bondjo, Mgr Augouard remarqua un indigène qui vidait une écuelle avec une grande cuillère de bois. Il s’approche : cette écuelle était un crâne dont le cannibale absorbait la cervelle encore fumante. Dans la région de l’Oubanghi, il y a peu d’esclaves, parce que ceux-ci, sitôt achetés, sont immolés. Pourtant, quand les sujets sont trop maigres, on leur accorde un sursis pour les engraisser ; à d’autres on brise bras et jambes et on les plonge vivans, toute une nuit, dans le fleuve, la tête seule émergeant, pour rendre leur chair plus tendre. Les Bondjos se font souvent la guerre entre eux pour se procurer de la chair fraîche. Aussi ne comprennent-ils pas que les blancs se privent bénévolement d’aussi succulens festins et exhalent-ils de profonds soupirs quand on leur dit que, dans les guerres européennes, des milliers de cadavres sont enterrés : quel gaspillage ! Dans une autre tribu, — celle des Zolos, — le P. Allaire a vu des marchés d’esclaves où les acheteurs viennent marquer, avec une sorte de craie, les parties qui leur conviennent ; quand tous les membres du patient ont été marqués, on lui coupe la tête et chacun des acheteurs emporte ou dévore même sur place le morceau qui lui revient.

Durant le séjour de Mgr Augouard au poste français de Banghi, il y eut plusieurs alertes : les cannibales venaient, la nuit, surprendre les dormeurs, tâcher de s’emparer des sentinelles.