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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/175

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sauveurs de questions baroques. Le sifflet de la machine, le mouvement du bateau, l’absence de pagayeurs, tout était sujet d’étonnement pour eux et, voyant que, malgré la rapidité de la marche, on mettait si longtemps pour arriver à destination, ils déclaraient que jamais ils n’auraient cru la terre si grande.

Des chefs bondjos n’avaient pas craint de confier leurs fils à l’évêque ; il les ramena, l’année suivante, dans leur pays où ces enfans firent une active propagande en faveur de la nouvelle mission (Saint-Paul des Rapides) établie à Banghi. Une fois celle-ci installée et placée sous la direction du P. Rémy, Mgr Augouard voulut aller plus loin encore, à 2 200 kilomètres de la côte fonder une autre mission : la Sainte-Famille des Banziris. Le P. Moreau allait occuper, onze années durant, ce poste avancé au cœur de l’Afrique. À partir de Saint-Paul, l’Oubanghi est barré par de nombreux rapides : force est d’abandonner le bateau pour recourir aux pirogues, immenses troncs d’arbres creusés par les Banziris et que font avancer dix à vingt pagayeurs assis à l’arrière tandis qu’à l’avant deux ou trois de leurs camarades manœuvrent une grande perche. Ce mode de locomotion est aussi pittoresque que dangereux ; si, à la montée, il faut d’incroyables efforts pour hisser les embarcations au milieu des rochers, la descente, en revanche, s’opère de façon vertigineuse. Souvent les pagayeurs voulant lutter de vitesse, les pirogues chavirent ; tout le monde tombe à l’eau ; l’une des pirogues s’est-elle brisée contre les rochers, les naufragés sont recueillis dans les autres ; quelques minutes après, la navigation reprend de plus belle et les incorrigibles rameurs recommencent insoucieusement leurs exploits, tout en énumérant les accidens mortels qui sont déjà survenus en pareille circonstance et en chantant les louanges et la gloire du chef blanc « qui ne manquera pas de récompenser généreusement d’aussi bons serviteurs. »

Les Banziris, sont aussi dépravés mais de mœurs plus douces que les Bondjos. S’ils ne mangent pas la chair humaine, ils ne se font pas scrupule d’en procurer aux cannibales. L’intérieur du pays est habité par les Ouaddas, qui se distinguent de leurs voisins par l’étrange manie qu’ils ont de se déformer les lèvres et les narines pour y introduire des morceaux de quartz, d’ivoire ou même de simples cartouches ; les femmes ont pour ornement une longue pointe de cristal suspendue à